Alors que le marché de l’immobilier va mal (crédits immobiliers toujours chers ; taxes foncières qui explosent un peu partout ; coûts de la rénovation énergétique lourds à supporter, et compliqués ; les prix de l’immobilier qui ne reculent que lentement : MeilleursAgents estime leur recul à – 4% seulement pour 2024), revient comme un « serpent de mer », une idée qui semble folle et inique : imposer les propriétaires de leur résidence principale sur un « loyer fictif » !
L’idée de taxer les propriétaires de leur résidence principale sur un « loyer fictif », c’est-à-dire sur le revenu qu’ils percevraient s’ils louaient leur logement, n’est en effet pas nouvelle en France, voilà environ une décennie qu’on en parle, et elle fait régulièrement l’objet de débats.
L’Insee a publié une nouvelle étude sur le sujet le 19 décembre 2023, au titre évocateur : La non-imposition des loyers imputés : un cadeau pour Harpagon ? (Auteurs : Montserrat Botey et Guillaume Chapelle (maître de conférences à Université de Cergy-Pontoise), selon un sondage réalisé en ligne du 13 au 24 octobre 2023 sur un échantillon de 1703 personnes représentatives des Français de 18 ans et plus).
Quels sont les arguments en faveur / défaveur d’une telle mesure ?
Les arguments pour la taxation de « loyers fictifs »
– L’équité fiscale : selon ses partisans, il conviendrait de rétablir une égalité de traitement entre les propriétaires occupants et les locataires, qui paient un loyer réel et sont imposés sur leurs revenus, car selon eux, les propriétaires bénéficieraient d’un avantage fiscal implicite, puisque non imposés sur le loyer qu’ils s’épargnent en habitant leur logement ! Cet avantage serait d’autant plus important que le logement est de grande valeur ou situé dans une zone tendue. Il profiterait donc davantage aux ménages les plus aisés, qui sont aussi les plus nombreux à être propriétaires, et de biens de plus grande valeur. Selon une étude publiée par l’INSEE en 2023, la non-imposition des « loyers fictifs » représenterait au bas mot une dépense fiscale de 9 à 11 milliards d’euros par an, soit plus que la taxe foncière payée par les propriétaires occupants, et les « loyers fictifs » non taxés représenteraient pas moins de 7% du revenu national net !
– La rationalisation du marché immobilier : selon les partisans de cette idée de taxation, il s’agirait aussi de corriger les distorsions induites par la fiscalité actuelle sur le comportement des agents économiques. Toujours d’après eux, la non-imposition des « loyers fictifs » inciterait à l’achat, plutôt qu’à la location, à la sous-occupation des logements, à la spéculation immobilière et à la constitution d’un patrimoine immobilier, au détriment d’autres formes d’épargne. Ces effets contribueraient à renchérir le prix du foncier, à réduire la mobilité résidentielle et professionnelle, et à accroître les inégalités de richesse. En taxant les « loyers fictifs », on encouragerait ainsi une meilleure allocation des ressources et une plus grande fluidité du marché immobilier.
Les arguments en défaveur de la taxation des « loyers fictifs »
– Sa complexité technique : selon les opposants à cette mesure, il s’agirait d’une idée difficile à mettre en œuvre sur le plan pratique. En effet, il faudrait définir et actualiser régulièrement la valeur locative de chaque logement occupé par son propriétaire, ce qui nécessiterait une administration dédiée et des moyens importants. Il faudrait aussi tenir compte des spécificités de chaque situation, comme le statut d’accession à la propriété, le niveau d’endettement, les travaux réalisés, etc. Il faudrait enfin prévoir des mécanismes de compensation ou d’exonération pour les ménages modestes ou vulnérables, qui pourraient être pénalisés par cette nouvelle imposition.
– L’injustice sociale : selon les opposants à cette mesure, il s’agirait d’une idée de taxation injuste sur le plan social. Ils estiment que les propriétaires occupants ne perçoivent pas un revenu réel, mais se contentent de se loger eux-mêmes. Ils considèrent également que les propriétaires ont déjà payé leur logement (sans parler certaines taxes comme la TLE) et qu’ils sont déjà soumis à des impôts et taxes liés à l’immobilier, comme la taxe foncière, les droits de mutation, ou encore l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Ils craignent aussi qu’une telle nouvelle imposition n’entraîne une baisse du pouvoir d’achat des ménages propriétaires, une diminution de l’attractivité de l’investissement immobilier et une fragilisation du secteur du bâtiment. Les agences immobilières, mais aussi tous les professionnels du patrimoine et de l’immobilier – dont les notaires – seraient « vent debout » contre cette idée qu’ils considèreraient alors et non sans raisons, comme une niaiserie, car ce serait voir le problème « par le petit bout de la lorgnette ».
-La contre-productivité d’une telle idée (taxation de « loyers fictifs »), et une aberration économique et fiscale : les « propriétaires occupants » devenant assimilés à des bailleurs, pourraient déduire de leurs revenus fonciers leurs dépenses d’amélioration, de réparation, leurs intérêts d’emprunt, et ainsi pour beaucoup, se créer des déficits fonciers imputables sur leurs revenus, diminuant du même coup et significativement leur impôt sur le revenu et donc son rendement ! Ainsi, « l’arroseur » (l’Etat et ses impôts et taxes) deviendrait « l’arrosé » car la balance – au final – risquerait fort de ne pas être en faveur du Budget de l’Etat, les recettes escomptées avec cette taxation de « loyers fictifs » risquant bien de se révéler bien moindres qu’envisagées !…
-Le risque de « doublons » de taxations : à tout le moins, les propriétaires de leur résidence principale étant déjà taxés sur la TFPB (taxe foncière sur les propriétés bâties), laquelle ne cesse d’exploser chaque année, ainsi que sur les droits de mutation (lors de l’acquisition du bien immobilier) ou de succession (lors de la transmission de leur patrimoine), et pour certains en outre, étant de surcroît imposés à l’IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière), il conviendrait donc si la taxation des propriétaires de leur résidence principale sur des « loyers fictifs », de supprimer en échange et en leur faveur la TFPB sur lesdits biens, les droits de mutation et de succession, ainsi que l’IFI, sauf à voir s’accumuler très rapidement une multitude de recours contentieux et juridictionnels contre ces « multi-impositions » d’un même bien, avec pour les contribuables concernés les meilleures chances d’obtenir gain de cause devant les juridictions administratives (il y aurait « double », voire « triple » ou « quadruple peine » pour ces propriétaires de leur résidence principale, et il y aurait donc lieu de transposer en droit fiscal le principe juridique prévalant en matière de sanctions pénales, le « non bis in idem ») !
-Le risque de pertes économiques très importantes, de disparition de métiers, d’augmentation du chômage : en effet, à partir du moment où l’Etat taxerait les propriétaires de leur résidence principale sur un « loyer fictif », il n’y aurait plus aucun intérêt pour eux, ni pour les jeunes générations d’ailleurs, à vouloir devenir « propriétaires de l’habitation principale » !
Dès lors, il y aurait beaucoup moins – voire plus du tout – de transactions immobilières y associées, et par voie de conséquence, ce serait des pans entiers de l’économie qui s’effondreraient : adieu les agences immobilières, adieu les études notariales (en tout cas, ces dernières se regrouperaient pour pouvoir subsister, par des « économies d’échelle » liées à ces regroupements, et il ne se créerait plus de nouvelles Etudes notariales), adieu le secteur du bâtiment, celui de la construction, qui seraient fortement impactés car il n’y aurait alors quasiment plus « d’accédants à la propriété »…, et corrélativement… adieu, pour l’Etat et les Collectivités territoriales, à beaucoup de ressources budgétaires – par abandon d’impositions faisant double voire « triple emploi » comme rappelé supra, mais aussi par cet effondrement de pans entiers de l’économie, que ne manquerait pas d’entraîner une taxation des propriétaires sur un « loyer fictif » ! L’idée – on le voit bien – serait désastreuse et même calamiteuse pour les Finances publiques !
En outre, les primo-accédants (entre autres) disparaissant, car n’ayant plus aucun intérêt à la « propriété immobilière » avec une telle imposition sur des « loyers fictifs », le marché bancaire français serait très fortement impacté négativement, du fait de la quasi-disparition alors, des prêts immobiliers (on estimait en 2021 en France que 1 ménage sur 3 avait souscrit à un emprunt immobilier, et que les encours des prêts immobiliers atteignaient à la même époque plus de 1 300 milliards d’euros) !
Les effets pervers possibles de la taxation de « loyers fictifs »
– Sur le plan macroéconomique : selon les simulations réalisées par l’étude de l’INSEE, la taxation des loyers fictifs aurait un impact négatif sur le revenu disponible des ménages propriétaires, mais positif sur celui des ménages locataires, qui bénéficieraient d’une baisse des loyers réels. L’effet global sur la consommation et l’épargne serait donc incertain (et rien ne permet de corroborer ces simulations). En revanche, la taxation des loyers fictifs aurait un effet positif sur les recettes fiscales de l’État, qui augmenteraient de 0,4 point de PIB (seulement diraient certains !…). Elle aurait aussi un effet positif sur la réduction des inégalités de revenu et de richesse, puisque le taux de Gini diminuerait de 0,8 point (là aussi, pour un faible impact).
– Sur le plan microéconomique : si l’on en croit les simulations réalisées par l’étude de l’INSEE, la taxation des « loyers fictifs » aurait un impact significatif sur le comportement des agents économiques, en incitant les propriétaires occupants à réduire la surface de leur logement, à déménager dans des zones moins chères ou à mettre en location une partie de leur propriété. Elle encouragerait aussi les propriétaires à diversifier leur patrimoine et à investir davantage dans des actifs financiers. Elle favoriserait aussi la mobilité résidentielle et professionnelle, en réduisant les coûts de transaction et les freins psychologiques liés au changement de logement.
Conclusion
L’idée de taxer les propriétaires de leur résidence principale sur un « loyer fictif » est une proposition plutôt controversée, qui soulève des questions d’équité fiscale, d’efficacité économique et de faisabilité technique. Si elle était un jour appliquée, elle aurait des effets importants sur tout le marché immobilier, sur les professionnels de l’immobilier, sur le revenu des ménages, sur des pans entiers de l’économie et sur les finances publiques. Elle nécessiterait donc d’être accompagnée de beaucoup de mesures d’ajustement et de soutien (très coûteuses pour l’Etat et donc les Finances publiques) pour éviter des effets pervers ou indésirables.
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