La transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique sont des enjeux majeurs pour l’avenir de la planète et de l’humanité. Pour y parvenir, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre, favoriser les énergies renouvelables et sobres, et inciter les acteurs économiques et sociaux à adopter des comportements plus responsables. La fiscalité est un levier essentiel pour orienter les choix des consommateurs, des producteurs et des investisseurs vers des solutions plus vertes et plus durables.
Mais quelle fiscalité incitative, à l’étranger et en particulier en France et en 2023, pour accélérer cette transition ?
En France, la fiscalité écologique repose principalement sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui s’applique aux carburants, au fioul domestique et au gaz naturel. Cette taxe intègre une composante carbone, qui augmente chaque année en fonction d’un prix du CO2 fixé par la loi. En 2023, ce prix devrait atteindre 90 euros par tonne de CO2 (86 euros dans le secteur de l’aviation, qui requiert des quotas différents), ce qui se traduirait par une hausse de 9 centimes par litre d’essence et de 10 centimes par litre de gazole. L’objectif est de décourager l’usage des énergies fossiles et d’encourager le recours aux modes de transport moins polluants, comme le vélo, le covoiturage ou les transports en commun.
Des mesures critiquées parce qu’insuffisamment incitatives sur le plan environnemental
La TICPE est toutefois critiquée pour son impact social, car elle pèse davantage sur les ménages modestes et les zones rurales, où la voiture est souvent indispensable. Pour compenser cette injustice, le gouvernement a mis en place des mesures d’accompagnement, comme le chèque énergie, la prime à la conversion, ou encore le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), ce dernier ayant été supprimé depuis le 1er janvier 2021 pour être remplacé par la « prime de transition énergétique’ – « MaPrimeRénov ». Ces dispositifs visent à aider les ménages à réduire leur facture énergétique, à se chauffer mieux ou à acquérir un véhicule plus propre. Toutefois, ces mesures sont jugées insuffisantes par certains observateurs, qui appellent à une réforme plus globale et plus juste de la fiscalité écologique.
Dans un rapport spécial sur la transition écologique du projet de loi de finances 2018 en France, le Sénat avait déjà estimé que la hausse de la taxe carbone avait été « avant tout mise en œuvre dans une logique de rendement budgétaire, au profit du budget général de l’État » pour financer en partie le coût du crédit d’impôt pour la compétitivité emploi (CICE), et non dans une logique « d’incitations écologiques ».
Par ailleurs, les taxes à visée explicitement écologique, permettant de lutter contre les pollutions de l’air, de l’eau, ou visant à limiter la production de déchets, ont des taux de rendement très peu élevés en France. Or, une taxe trop faible n’a pas un effet suffisamment dissuasif pour orienter les contribuables vers des pratiques vertueuses et plus respectueuses de l’environnement. Elle s’assimile alors à une taxe « de rendement », car elle ne remplit pas son objectif environnemental.
A l’inverse, une taxe trop élevée peut conduire à des risques économiques importants pour la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des Français, en particulier les plus modestes.
En outre, l’OCDE a souvent dénoncé le fait que la « fiscalité noire » constitue un frein à la transition écologique : en effet, les subventions qui encouragent la consommation et la production d’énergies fossiles non renouvelables représentent 40 à 70 milliards d’euros par an au sein de l’OCDE, dont les deux tiers pour le pétrole. Les carburants et les combustibles utilisés dans l’agriculture et la pêche sont par exemple très largement exonérés d’impôt dans tous les pays de l’OCDE. Selon un rapport de la Cour des Comptes en France (2013), ce sont une trentaine d’exonérations qui y ont été recensées, comme les taux réduits sur les taxes pour les carburants utilisés par les taxis, certains bateaux ou des produits agricoles, comme l’exonération de taxes pour les producteurs de gaz naturel et les entreprises de raffinage ou encore l’aide aux stations-services dans les zones isolées.
Des exemples de réussite à l’étranger
à l’étranger, d’autres pays ont mis en place des systèmes fiscaux incitatifs pour la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. Par exemple, la Suède a instauré dès 1991 une taxe carbone sur les combustibles fossiles, qui s’élève aujourd’hui à environ 120 euros par tonne de CO2. Cette taxe a permis de réduire les émissions de CO2 de 26 % entre 1990 et 2018, tout en soutenant la croissance économique. La Suède a également mis en place des exemptions ou des réductions de taxe pour les secteurs exposés à la concurrence internationale ou pour les énergies renouvelables.
Un autre exemple est celui du Canada, qui a adopté en 2018 une loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Cette loi prévoit un prix plancher du CO2 qui augmente chaque année jusqu’à atteindre 50 dollars canadiens (environ 34 euros) par tonne de CO2 en 2022. Ce prix s’applique aux provinces qui n’ont pas mis en place leur propre système de tarification du carbone, comme une taxe ou un marché d’échange de quotas d’émission. La loi prévoit également un mécanisme de redistribution des revenus générés par la tarification du carbone aux ménages et aux entreprises, afin d’en atténuer l’impact économique.
De son côté, l’Allemagne a continué à améliorer ses performances environnementales, se fixant comme objectifs ambitieux la « neutralité climatique » d’ici 2045, et des « émissions négatives » à partir de 2050. Par ailleurs, les Etats Unis – plus grande économie du monde – a progressé dans la réduction de plusieurs pressions environnementales en les découplant de la croissance économique, tout en maintenant un PIB par habitant parmi les plus élevés du monde. Le Portugal quant à lui, a pu découpler plusieurs pressions environnementales de la croissance économique entre 2013 et 2019, jouant un rôle de premier plan dans l’approbation de la loi européenne sur le climat, et il a adopté la loi-cadre portugaise sur le climat en 2021, visant la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Des situations d’échecs aussi
Le Costa Rica est connu pour avoir réussi à inverser la déforestation, et à poursuivre un modèle de croissance reposant sur l’utilisation durable de ses ressources environnementales, mais la consommation d’énergie et l’augmentation des gaz à effets de serre y ont beaucoup augmenté pendant la dernière décennie, ruinant ses efforts en ce sens.
Par ailleurs, dans ses 15e et 16e séances plénières – le 31 mars 2023 – l’ECOSOC (Conseil économique et social sur la coopération internationale en matière fiscale), sous l’égide des Nations Unies, a réfléchi aux moyens de rendre la coopération fiscale internationale plus inclusive et efficace dans le contexte actuel de crises multiples, de hausse du coût de la vie, de montée des inégalités et de changements climatiques.
Lors de la seconde table-ronde organisée sur le climat et « la fiscalité comme levier politique pour faire avancer la transition énergétique », un responsable de la Banque mondiale (M. Heine) a défendu le bien-fondé d’une « taxe carbone ». Outre le fait qu’elle permettrait d’augmenter l’assiette fiscale, une écotaxe d’un montant de 75 dollars par tonne de CO2 contribuerait à soutenir les systèmes de santé nationaux affaiblis, a-t-il avancé. Pour l’expert du World Ressources Institute of Mexico, la taxe carbone seule ne peut toutefois pas suffire et elle doit s’accompagner d’une élimination progressive des subventions aux combustibles fossiles et d’une tarification implicite du carbone dans les taxes d’accise existantes sur les carburants.
Mais l’instauration d’une « taxe carbone » n’est pas toujours chose aisée ni réalisable partout, comme l’ont soulevé deux intervenants à ces séances de l’ECOSOC :
– s’exprimant par visioconférence depuis son pays, l’Afrique du Sud, M. Christopher Axelson, directeur en chef de l’unité d’analyse économique de la fiscalité au sein du Trésor public, a évoqué la difficile mise en place d’une « taxe carbone », dans un contexte social compliqué, alors même que son montant, 9 dollars par tonne, est très loin des 75 dollars préconisés par M. Heine. « De longues consultations ont été menées avec l’industrie et le public. Cela n’a pas été facile dans un pays où la croissance économique a été faible et où le chômage est exceptionnellement élevé », a-t-il concédé. Toute politique fiscale susceptible de restreindre la croissance ou de nuire à l’emploi a suscité une forte opposition populaire en Afrique du Sud : « nous avons dû procéder à de nombreux ajustements pour répondre aux besoins d’industries particulières ».
– De son côté, la Roumanie a fortement réagi à l’instauration d’une « taxe carbone », estimant la « barre » à franchir beaucoup trop haute pour elle. Après la Covid-19, la guerre en Ukraine, l’inflation, les nouveaux prix élevés de l’énergie, le pays se retrouve « face à un vrai dilemme ». Pour réduire sa consommation « fossile sale », la Roumanie ne voit pas de solution en dehors d’institutions comme l’ONU, et introduire une « taxe carbone » serait dès lors du suicide pour une petite économie telle que la sienne, a fait valoir la délégation roumaine.
Des avancées fiscales récentes des pays du G20
Après deux jours de tractations à Venise, les ministres des finances des pays du G20 – les 19 pays les plus riches et l’Union européenne – ont donné leur feu vert politique à la mise en œuvre, dès 2023, d’une grande réforme fiscale mondiale, étape qui a dû encore être confirmée, en octobre, par l’accord formel des chefs d’Etat du G20 et, au niveau mondial, par le ralliement d’une poignée de pays encore réfractaires, dont, en Europe, l’Irlande, havre fiscal connu. Jusqu’alors opposé au projet, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, paradis fiscal situé aux Caraïbes a annoncé son ralliement tardif au groupe de travail sous l’égide de l’OCDE, regroupant 132 des 139 pays membres du « cadre inclusif ».
La réforme validée politiquement tient sur deux piliers :
- la création d’un impôt minimal mondial d’au moins 15 % pour les entreprises de plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires ;
- la redistribution de 20 à 30 % du surplus de profits des cent multinationales les plus grandes et les plus rentables, au profit des pays dits « de marché », dans lesquels elles font des affaires sans y avoir d’implantation. Parmi elles on retrouve tous les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). L’impôt minimal mondial devrait faire revenir, à lui seul, 150 milliards de dollars (126 milliards d’euros) par an dans les caisses des Etats.
Conclusion
Ces exemples montrent qu’il existe différentes façons de concevoir une fiscalité incitative pour la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. Il n’y a pas de solution unique ni de modèle optimal, mais il faut tenir compte des spécificités de chaque pays, de ses ressources énergétiques, de ses besoins sociaux et de ses engagements internationaux. Il faut également veiller à ce que la fiscalité écologique soit acceptée par les citoyens et les acteurs économiques, en garantissant sa transparence, sa lisibilité et sa justice. C’est à ces conditions que la fiscalité peut être un outil efficace et légitime pour accélérer la transition vers un monde plus vert et plus durable.
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