La question est volontairement provocatrice, mais elle peut être posée, surtout à la lumière d’un récent rapport de l’Institut des politiques publiques (IPP) le 6 juin dernier. En effet, la France est souvent présentée comme un pays où la pression fiscale est très élevée, notamment pour les hauts revenus et les grandes fortunes. Pourtant, certains éléments tendent à montrer que la réalité est plus nuancée, voire que la France offre des avantages fiscaux non négligeables pour les plus riches. Quels sont ces éléments ? Quels sont les arguments des partisans et des opposants à cette thèse ? Quelles sont les conséquences économiques et sociales de cette situation ?
Les éléments en faveur de la thèse d’un paradis fiscal en France
plusieurs indicateurs donnent à penser que la France est un pays où il fait bon être riche sur le plan fiscal. Il faut d’abord se souvenir que la France a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en 2018, pour le remplacer par un impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui ne concerne que les actifs immobiliers : exit la taxation des patrimoines mobiliers ! Ainsi, les patrimoines composés principalement d’actions, d’obligations, de fonds ou de biens professionnels échappent en totalité à cet impôt ! Quand le gouvernement a fait le choix de cette réforme, l’objectif poursuivi était de favoriser l’investissement productif en évitant l’exil fiscal des contribuables les plus fortunés. Mais selon les détracteurs de cette réforme, elle a surtout permis aux plus riches d’économiser plusieurs milliards d’euros par an.
Il convient aussi de souligner que la France bénéficie d’un régime fiscal particulièrement avantageux pour les dividendes et les plus-values mobilières. En effet, depuis 2018, ces revenus sont soumis à un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30%, qui comprend 12,8% d’impôt sur le revenu et 17,2% de prélèvements sociaux (CSG ; CRDS ; Prélèvement complémentaire). Ce taux est nettement inférieur au taux marginal d’imposition de l’impôt sur le revenu, qui peut atteindre 45% pour les tranches les plus élevées. Ainsi, les détenteurs de capitaux peuvent optimiser leur fiscalité en privilégiant ces formes de revenus par rapport aux salaires ou aux pensions.
Et puis, la France dispose d’un système de niches fiscales qui permet aux contribuables les plus aisés de réduire leur impôt sur le revenu en investissant dans certains secteurs ou dispositifs. Il leur est par exemple possible de bénéficier d’une réduction d’impôt en souscrivant au capital de petites et moyennes entreprises (PME), ou encore en réalisant des travaux de rénovation énergétique, ou bien en faisant des dons aux associations ou aux fondations, mais aussi en louant un logement meublé sous le statut de loueur en meublé non professionnel (LMNP), très avantageux sur le plan de sa fiscalité. Selon le rapport du comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales publié en 2020, ces niches représentaient un coût de 103 milliards d’euros pour l’État en 2019, dont 42% étaient captés par les 10% des ménages les plus riches.
Les éléments contre cette thèse d’un paradis fiscal français
Des arguments viennent contrer l’idée que la France soit devenue un paradis fiscal pour les plus riches.
Il y a lieu de relativiser le poids de l’IFI et du PFU précités dans la fiscalité globale des hauts revenus et des grandes fortunes. En effet, ces contribuables sont aussi soumis à d’autres impôts et prélèvements, tels que l’impôt sur le revenu, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), la contribution sociale généralisée (CSG), la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), ou encore l’impôt sur les sociétés (IS) pour les dirigeants d’entreprises. Selon le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires publié en 2019, le taux effectif moyen d’imposition des 1% des ménages les plus riches était de 37,9% en 2017, contre 23,5% pour l’ensemble des ménages.
Il faut aussi prendre en compte le fait que la France est un pays où la redistribution sociale est très importante, et qui réduit les inégalités de revenus et de patrimoines. En effet, la France consacre une part élevée de son produit intérieur brut (PIB) aux dépenses sociales qui comprennent les prestations sociales (allocations familiales, minima sociaux, retraites, etc.), les dépenses de santé et les dépenses d’éducation.
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France était le pays qui consacrait la plus grande part de son PIB aux dépenses sociales en 2019, avec 31,2%, contre 20,1% en moyenne pour les pays de l’OCDE. Ces dépenses bénéficient principalement aux ménages les plus modestes, qui reçoivent plus qu’ils ne contribuent au système social.
Enfin, il faut bien admettre que la France ne constitue pas un cas isolé en matière de fiscalité des plus riches, et qu’elle se situe plutôt dans la moyenne des pays comparables. D’autres pays en effet ont également supprimé ou allégé leur impôt sur la fortune : c’est le cas de l’Allemagne, du Danemark, de la Suède et du Royaume-Uni.
D’autres pays ont également mis en place un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, comme la Belgique, l’Italie ou le Portugal.
D’autres pays enfin ont également des systèmes de niches fiscales qui favorisent certains investissements ou certaines dépenses, comme les États-Unis, le Canada ou encore l’Espagne. Selon l’OCDE, le taux moyen d’imposition des revenus du capital était de 26% en France en 2018, contre 25% en moyenne pour les pays de l’OCDE.
Les conséquences économiques et sociales de la fiscalité des plus riches en France
Il faut s’interroger sur les effets économiques et sociaux de cette fiscalité « à la française ». Sur le plan économique, les partisans d’une fiscalité allégée pour les plus riches avancent que cela favorise la croissance, l’investissement, l’innovation et l’emploi, car ils estiment que les détenteurs de capitaux sont incités à investir dans l’économie réelle plutôt qu’à placer leur argent à l’étranger ou dans des produits financiers peu productifs. Ils affirment que les entrepreneurs sont encouragés à créer ou à développer leur entreprise plutôt qu’à la vendre ou à la délocaliser. Ils soutiennent enfin que les salariés sont motivés à travailler plus et à améliorer leurs compétences plutôt qu’à se contenter d’un niveau de vie satisfaisant.
Au contraire, les opposants à une fiscalité allégée pour les plus riches mettent en avant les risques d’une telle politique, car ils expliquent que les détenteurs de capitaux ne réinvestissent pas forcément leurs gains dans l’économie réelle, mais qu’ils peuvent aussi profiter d’une fiscalité allégée pour spéculer sur les marchés financiers ou accumuler des biens de luxe. Ils affirment que les entrepreneurs ne sont pas nécessairement plus innovants ou plus performants quand ils paient moins d’impôts, et qu’ils peuvent aussi profiter de leur situation pour accroître leur pouvoir ou leur influence. Ils soutiennent également que les salariés ne sont pas forcément plus productifs ou plus qualifiés quand les patrons sont moins taxés, mais qu’ils peuvent aussi subir une dégradation de leurs conditions de travail ou de leur protection sociale.
Sur le plan social, les partisans d’une fiscalité allégée pour les plus riches invoquent le principe de justice fiscale et le respect du mérite. En effet, ils considèrent que les hauts revenus et les grandes fortunes sont le résultat d’un travail acharné, d’un talent exceptionnel ou d’un risque assumé. Ils estiment donc qu’il est normal que ces contribuables gardent une part importante de leurs revenus et de leur patrimoine, et qu’ils ne soient pas pénalisés par une fiscalité confiscatoire.
Le récent rapport de l’Institut des politiques publiques (IPP) : « pavé dans la marre » ?
Lors de la publication très médiatisée de l’étude « Quels impôts les milliardaires paient-ils ? » par l’Institut des politiques publiques (IPP) le 6 juin dernier, certains politiques et éditorialistes ont brandi le chiffre de 2% d’impôts payés par les 378 contribuables les plus riches, preuve que la France serait un vrai paradis (fiscal) pour les grandes fortunes.
A l’inverse, le cabinet de Bruno Le Maire à Bercy et d’autres médias ont insisté sur un taux d’impôt bien plus élevé, de 26%, mentionné dans la même étude pour 75 milliardaires identifiés. Ce taux, qui a tendance à diminuer pour les plus fortunés, ne fait pas pour autant de la France un « paradis fiscal » pour ultrariches.
Le seuil pour faire partie des 0,1% des ménages ayant le revenu fiscal le plus élevé se situe à 391 000 euros, et il faut considérer 627 000 euros pour le revenu économique. Les ultrariches payent bien 26% d’impôts, essentiellement sur les bénéfices de leurs sociétés, donc à des taux tout de même plus faibles que ceux de l’impôt sur le revenu. Notre système fiscal taxe donc beaucoup moins les plus fortunés, qu’une grande partie de la population.
Questions & Réponses (0)