Le Fisc, la détection automatique de piscines privées et abris de jardin, par l’utilisation de photos via son site geoportail, ou de drones, et l’avenir de ce procédé dans le contrôle fiscal français
Le Code Pénal français et le code de procédure pénale, comme « paravents » des droits au respect de la vie privée et à l’image :
le constat d’une infraction sur une propriété privée à l’aide d’un drone, ou de clichés issus de Google Maps, de Google Street ou de Google View, peut être considéré comme illicite, dès lors que « la zone contrôlée est inaccessible aux regards », a estimé le ministère de la Cohésion des territoires. Selon lui, le recours à une telle pratique constitue même une « ingérence dans la vie privée ». On peut penser qu’il en serait de même de tout engin volant en zone inaccessible normalement aux regards, volant (au double sens du terme) des images d’une vie privée qui est fortement protégée en France pénalement et dont la violation est sévèrement réprimée. Il est permis de penser qu’il en soit de même des photos exploitées par les services de contrôles de la DGFIP – Direction générale des Finances publiques – à partir de son site www.geoportail.gouv.fr
Les droits à l’image et au respect de la vie privée sont par ailleurs protégés par l’article 9 du code civil et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que par la loi du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Il est en outre rappelé que, selon l’article 706-96 du code de procédure pénale, « la captation d’images dans un lieu inaccessible depuis la voie publique ne peut être effectuée que par des officiers et agents de police judiciaire et sur autorisation d’un juge ». En ce qui concerne tout particulièrement l’usage des drones, que n’importe qui peut acheter (ceux du commerce ont des autonomies de vol très variables, avec des portées de télécommande assez courtes, contrairement à ceux utilisés par les militaires ou la gendarmerie), il existe désormais des règles strictes sur le survol et la prise de vue aérienne des propriétés privées, ces conditions s’appliquant aux particuliers mais également aux militaires, aux gendarmes, au Fisc et aux collectivités locales.
Pour autant, est-on bien sûrs de tout contrôler en matière d’images et de clichés ? La réponse est à l’évidence non : le ciel est sans cesse sillonné, souvent à moyenne ou basse altitude par des hélicoptères (quels qu’ils soient), des ULM, des avions aussi, des montgolfières évidemment, et dans certaines régions montagneuses, des deltaplanes et autres moyens volants ; les caméras ultra-performantes et ultra-miniaturisées se sont multipliées et démocratisées depuis l’apparition de la première « GoPro », et nul ne peut savoir ce que fait telle ou telle personne dans son ULM, ou telle autre suspendue à sa voile, tandis que l’une ou l’autre survole des propriétés.
Il n’est pas surprenant dès lors de voir circuler plus ou moins librement sur internet des clichés manifestement « pris d’en-haut », avec une définition d’image souvent à couper le souffle, et sur lesquelles certaines et certains peuvent reconnaîtront très probablement tout ou partie de leur maison, de leur jardin, etc…
Les mauvais élèves étrangers, qui ont « ouvert la voie » à ce type de « détection automatique » :
à l’étranger, les drônes et Google Earth sont utilisés par le Fisc ; l’Espagne utilise les drônes pour contrôler les manquements aux aménagements de propriétés privées au regard de l’impôt foncier ; l’Italie en fait autant ; la Grèce et la Lituanie se servent de Google Earth pour chasser les fraudeurs.
S’agissant de Google, après Google Maps, et Google View, est apparue Google Street View, en mai 2007, permettant de naviguer virtuellement dans les rues de grandes villes, avec une vue à 360 degrés. L’Amérique en premier, mais aussi l’Asie, l’Océanie, l’Union Européenne en sont équipées. Google Street View, système de caméras fixées sur le toit de véhicules, permet carrément de voir et enregistrer des images au-dessus de la limite haute d’un mur de clôture classique de propriété, de sorte qu’il devient possible d’apercevoir certains détails intérieurs (vérandas, piscines, spa).
Là ont commencé les mésaventures de Google. Des personnes s’étant elles-mêmes reconnues, et parfois dans des situations extra-conjugales plutôt scabreuses, ont déposé plainte contre le géant Google. En 2008, les autorités de régulation, de l’Union européenne, en charge de la protection des données personnelles ont prévenu Google que son application « Street View » risquait d’enfreindre la règlementation sur la vie privée.
Des plaintes ont afflué d’un peu partout, de Grèce, même des USA et de Pennsylvanie où des habitants ayant estimé que Google avait violé leur vie privée sont allés jusqu’au procès. Entretemps, conscient de certains problèmes, Google avait mis en place avec plus ou moins de bonheur un système de « floutage » des visages ainsi que des plaques d’immatriculation, … avec quelques « ratés » quand même qui lui ont également valu pas mal de déboires.
Afin de couper court à toute récrimination, Google a alors instauré un système « d’opt-out » : aux personnes qui ne désirent pas que leurs vues soient publiées de le signaler à Google. Le fait de n’en rien faire revient, et la Justice américaine a abondé dans ce sens…, à accepter tacitement la publication de toute photo ou image et donc, de renoncer à tout recours contre Google. Curieuse justice s’il en est…dont il serait intéressant d’avoir une version française, pour voir…
La France, justement, avec la CNIL a dans les années 2010 à son tour « épinglé » Google View Street pour « conservation d’images », justifiant une amende de l’ordre de 100 000 dollars, Google ayant reconnu conserver les clichés « nets » (avant floutage) pendant un an ! Les attaques de la CNIL se poursuivent, et même aux USA comme en Angleterre on se méfie à présent de ces drôles de véhicules ou de tricycles équipés de caméras à 360°.
Google en liaison avec l’IGN (Institut Géographique et forestier National), au secours du Fisc français pour la détection de piscines et abris de jardins :
la ville de Marmande qui compte 18 000 âmes, en a fait les frais en 2017, le Fisc ayant reconnu y avoir débusqué 300 piscines non déclarées, grâce à Google Maps (source : La Tribune). Le service des impôts de cette commune a ainsi déniché plus de 300 piscines non-déclarées par l’usage de l’outil cartographique de Google, et ce, à moindre coût. L’idée reste préoccupante en termes de respect de la vie privée, même si cette première expérience de détection s’est révélée malheureuse, après des dizaines de réclamations déposées, le « système de détection » appliqué par le Fisc ayant souvent confondu de simples bâches bleues ou noires disposées au sol, avec des « piscines » ou encore des cabanes de jardin ! …
Trois départements « tests » en 2019 :
Bercy et ses services ont testé dans trois départements un logiciel d’intelligence artificielle chargé de débusquer les propriétaires (bâtiments ; piscines), qui n’ont pas fait de demande de permis de construire, à partir d’un nouvel outil, un logiciel d’intelligence artificielle (IA) développé par la société privée de conseil en informatique « Accenture », entreprise internationale de conseil et de technologies, considérée comme une des plus grandes entreprises de conseil dans le monde. Le fisc a « croisé » les déclarations des contribuables avec les vues aériennes et les plans cadastraux, et il a ainsi traqué les erreurs déclaratives cadastrales.
En 2017 déjà, il avait provoqué un « tollé », pour avoir utilisé les données de Google Maps sur la ville de Marmande dans le Lot et Garonne, ce qui lui avait valu de « taxer » 300 piscines non déclarées, comme rappelé ci-avant !
Le logiciel mis à disposition du fisc a été testé dans les départements des Alpes-Maritimes, de la Charente-Maritime et de la Drôme, lui permettant de trouver plusieurs milliers de piscines non déclarées, dont presque 3 000 dans le seul département des Alpes-Maritimes, ainsi que des centaines de locaux (hangars ; bâtiments agricoles), et des logements non-déclarés. Les vues aériennes reprises sur Google ont montré aux agents du fisc que beaucoup de ces locaux avaient été refaits à neuf, sans pour autant avoir fait l’objet d’un quelconque signalement ni d’une déclaration aux impôts, étant de ce fait toujours considérés comme « anciens » !
Une expérience voulue pour être étendue à toute la France dès 2020, mais dans la réalité, depuis octobre 2021, puis septembre 2023 :
l’objectif de Bercy était avant tout d’évaluer si la mise en œuvre d’une telle application d’intelligence artificielle pouvait aider les services fiscaux à la détection de fraudes à la construction, aux modifications et extensions des habitations ou tout simplement aux erreurs dans leurs déclarations, et simplifier voire « automatiser » ce type de repérages.
Au vu des résultats plutôt positifs de la période de « tests », Bercy a pensé à généraliser ce type de détection en 2020, à tout le territoire, initiative reportée en fait à octobre 2021. En effet, depuis octobre 2021, le fisc a expérimenté son « projet foncier innovant » dans neuf départements (Alpes-Maritimes, Var, Bouches-du-Rhône, Ardèche, Rhône, Haute-Savoie, Morbihan, Maine-et-Loire, Vendée) en croisant les données cadastrales et celles issues des vues Google Maps en s’aidant de l’intelligence artificielle (I.A.) et d’un outil développé en partenariat avec le cabinet de conseil Capgemini et Google, et Bercy l’étend à présent officiellement à tout le territoire français depuis septembre 2023, en attendant de le généraliser et de l’appliquer en 2024 à tous les autres « bâtis » et « dépendances » non-déclarés (pergolas ; abris de jardin ; garages pour voitures, etc).
Pour quelles conséquences fiscales (ou autres) en cas de détection d’un bien imposable non-déclaré ?
Les propriétaires suspectés de n’avoir pas déclaré un bâtiment, ou de n’avoir pas signalé sa rénovation, ou son changement de consistance ou encore de destination, ou d’en avoir « minoré » la surface, recevront une demande écrite du fisc les invitant à répondre à certaines questions et à réviser leur déclaration, au risque sinon d’encourir un redressement fiscal assorti de pénalités. Certaines piscines font partie de ce « dispositif », en particulier les piscines construites « en dur » ou ayant nécessité des « travaux de terrassements » et reposant sur des « fondations » auxquelles elles sont « fixées », ou encore, « ne pouvant pas être déplacées facilement ou sans être détruites ». Si elles ont été construites illégalement, elles vaudront à leur propriétaire entre 1 200 euros et un montant qui ne peut excéder, soit dans le cas de construction d’une surface de plancher, une somme égale à 6 000 euros par mètre carré de surface construite, démolie ou rendue inutilisable, soit dans les autres cas un montant de 300 000 euros (en ce sens : article L 4480 – 4 du code de la construction et de l’habitation).
Quid de la généralisation de cette « détection automatique » de biens immobiliers par des moyens « douteux » ?
En premier lieu l’utilisation par le Fisc d’images privées, même si elles sont visibles après recherches (et non « en direct) sur internet par n’importe qui, porte atteinte au respect de la vie privée des personnes concernées et à leur droit à l’image. L’utilisation fiscale en est donc contestable, obtenue par un moyen « douteux », dont le Fisc français par exemple s’il devait être interrogé sur ce point, serait incapable d’expliquer en quoi il s’agit d’un « système fiable et même légal », même si une réponse du Ministère de l’Intérieur publiée au J.O. du Sénat le 5 mars 2020 lui donne raison ! Pour rappel, les photos (au demeurant « floues », avancées par le Fisc actuellement dans le cadre de sa « détection automatique » de biens et de son projet « foncier innovant » susceptibles d’être taxés à la TFPB et non-déclarés, reposent sur des clichés sur www.geoportail.gouv.fr/carte/ vieux de trois ans, donc non actualisés ! …
Ensuite il reste que selon l’article 706-96 du code de procédure pénale, la « captation d’images dans un lieu inaccessible depuis la voie publique, ou aux regards, ne peut être effectuée que par des officiers et agents de police judiciaire et sur autorisation d’un juge ». Comme l’a déclaré publiquement le ministre de la cohésion des territoires, le « recours à une telle pratique constitue une ingérence dans la vie privée », donc illicite, étant rappelé que les personnes concernées peuvent invoquer aussi l’article 9 du code civil et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que la loi du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Nul doute par conséquent que l’administration fiscale rencontre à l’avenir beaucoup de difficultés dans l’application de son « projet foncier innovant » !
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