Dans un contexte de mondialisation où les flux de capitaux et de personnes sont toujours plus fluides, les États cherchent à préserver leurs recettes fiscales face à l’évasion et à l’optimisation fiscales. En France, l’un des instruments majeurs mis en place dans cette optique est l’Exit Tax.
Créée pour contrer les effets de l’exil fiscal, cette taxe s’adresse aux contribuables fortunés qui choisissent de transférer leur résidence fiscale à l’étranger, en les imposant sur les plus-values latentes de leurs titres. Si son objectif est clair – lutter contre la fuite des capitaux –, son mécanisme, ses critères d’application et ses récentes évolutions législatives méritent une analyse approfondie.
Quel en est le fondement juridique ? Quelles sont les conditions d’assujettissement à cette Exit Tax ? Comment fonctionne-t-elle et comment la déclarer ? Existe-t-il un sursis à cette taxe ? Quels sont ses impacts budgétaires, et qu’apporte dans ce domaine la Loi de finances 2025 ? Comment se positionne la jurisprudence fiscale par rapport à l’Exit Tax ? Cet article répond à chacune de ces questions.
Les fondements juridiques et les objectifs de l’Exit Tax
L’Exit Tax a été introduite en 2011 par l’article 167 bis du code général des impôts (CGI), dans un contexte marqué par une intensification des départs de contribuables fortunés. Elle vise à prévenir les départs opportunistes à l’étranger motivés par le souhait d’échapper à l’imposition sur les plus-values.
Ce dispositif repose sur une logique simple : imposer les plus-values latentes sur les valeurs mobilières détenues au moment du départ, même si ces dernières n’ont pas encore été réalisées. Ainsi, un contribuable qui possède un portefeuille de titres dont la valeur a fortement augmenté sera imposé sur cette « plus-value fictive » au moment de son départ.
L’objectif principal est double : d’une part, protéger l’assiette fiscale nationale, d’autre part, dissuader les stratégies d’optimisation consistant à réaliser des plus-values dans un pays à fiscalité plus avantageuse après avoir quitté la France.
Les conditions d’assujettissement à l’Exit Tax
L’Exit Tax ne s’applique pas à tous les contribuables partant à l’étranger. Elle vise spécifiquement :
- les résidents fiscaux français ayant vécu au moins 6 des 10 années précédant le transfert de leur domicile fiscal en France ;
- ceux qui détiennent :
- soit plus de 800 000 euros en titres financiers au moment du départ ;
- soit plus de 50 % du capital d’une société.
Les actifs concernés sont principalement les actions, parts sociales, droits dans des sociétés, obligations, options ou créances issues de clauses de complément de prix. En revanche, les titres détenus dans un PEA ou un PEA-PME en sont exclus.
La résidence fiscale est déterminée selon les critères habituels du CGI : lieu du foyer, centre des intérêts économiques, ou lieu principal de l’activité professionnelle.
Mécanisme d’imposition et obligations déclaratives
Au moment du transfert de domicile fiscal, l’administration fiscale considère les plus-values latentes comme imposables, même sans cession effective. La base imposable est constituée par la différence entre la valeur de marché au jour du départ et le prix d’acquisition des titres. L’imposition porte à la fois sur l’impôt sur le revenu (au taux en vigueur selon le barème ou au taux forfaitaire de 12,8 % pour les plus-values mobilières) et sur les prélèvements sociaux (actuellement de 17,2 %).
Le contribuable doit remplir le formulaire n° 2074-ETD pour déclarer ces plus-values et fournir les détails de ses actifs concernés. Si les impositions sont mises en sursis, une déclaration annuelle à l’aide du formulaire 2074-ETS est requise pour maintenir la validité du sursis.
Le sursis d’imposition : un aménagement essentiel
Afin de ne pas pénaliser excessivement les contribuables qui n’ont pas l’intention de céder immédiatement leurs titres, un sursis d’imposition est prévu :
- automatiquement, si le départ se fait vers un pays de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen (EEE) ayant une convention d’assistance avec la France ;
- sur demande, pour les autres pays, avec une obligation de fournir une garantie.
Depuis 2019, le délai de sursis permettant de bénéficier d’un dégrèvement varie selon la valeur des titres :
- 2 ans si les titres valent moins de 2,57 millions d’euros
- 5 ans au-delà de ce seuil.
Toutefois, si les titres sont cédés, rachetés ou annulés durant cette période, l’impôt devient immédiatement exigible.
Les impacts budgétaires de l’Exit Tax en 2024
Selon les estimations disponibles, l’Exit Tax a rapporté environ 500 millions d’euros au budget de l’État en 2024. Cette hausse est attribuée à un meilleur suivi des obligations déclaratives et à des contrôles fiscaux renforcés. Malgré son coût de gestion non négligeable, ce dispositif s’avère donc rentable à moyen terme et utile dans le contexte actuel de lutte contre le déficit public.
Modifications apportées par la Loi de Finances 2025
La Loi de Finances pour 2025 a renforcé l’Exit Tax pour limiter les stratégies d’optimisation des dirigeants ayant reçu des aides publiques. Plusieurs changements notables ont été introduits :
- la durée de conservation des titres pour bénéficier du dégrèvement est allongée à :
- 4 ans pour des plus-values inférieures à 2,5 millions d’euros ;
- 10 ans au-delà de ce seuil.
- Cette mesure concerne particulièrement les entreprises ayant perçu plus de 100 000 euros d’aides publiques, afin d’éviter que les dirigeants s’expatrient peu après avoir bénéficié du soutien de l’Etat.
Cette réforme vise une plus grande justice fiscale, en évitant les effets d’aubaine et en renforçant la conditionnalité des aides publiques à un comportement fiscal exemplaire.
La jurisprudence et la doctrine fiscale
Le Conseil d’État, dans plusieurs décisions (notamment CE, 9e et 10e ch., 20 juin 2016, n° 375053), a validé le principe de l’imposition sur les plus-values latentes dans le respect du droit européen, dès lors que des aménagements comme le sursis sont prévus. L’administration fiscale, dans sa documentation BOFIP (BOI-RPPM-CEE-10-20), précise les modalités techniques d’application, notamment en matière d’évaluation des titres et de traitement des créances.
Conclusion
L’Exit Tax s’impose comme un mécanisme fiscal stratégique pour la France, en dissuadant les expatriations opportunistes et en garantissant une taxation équitable des plus-values issues d’un enrichissement réalisé sur le territoire national.
Si son efficacité reste parfois discutée, son application s’est affinée au fil du temps, notamment grâce aux ajustements prévus par la Loi de Finances 2025, qui en renforcent l’équité et l’efficacité. L’Exit Tax, au-delà d’un simple outil technique, reflète les enjeux contemporains de souveraineté fiscale et d’équilibre budgétaire.