Face à la complexification croissante des mécanismes de fraude fiscale et de blanchiment d’argent, la France a pris un tournant stratégique avec la création de l’Unité de Renseignement Fiscal (URF). Mise en place par la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP) en 2023, cette structure interservices s’inscrit dans une dynamique de réforme ambitieuse et vise à répondre aux lacunes pointées par la Cour des comptes.
En centralisant les données fiscales et douanières, l’URF se veut un levier décisif pour renforcer l’efficacité du renseignement fiscal, optimiser les actions de contrôle et améliorer la coopération avec les instances judiciaires et internationales.
Pourquoi l’URF a-t-elle été créée ? Constitue-t-elle une innovation technologique ? Quels en sont les premiers résultats, et est-elle un « terrain d’expérimentation » extensible à l’Union Européenne ?
Contexte et objectifs de la création de l’URF
Une réponse aux critiques structurelles
Depuis plusieurs années, la Cour des comptes dénonce les faiblesses du dispositif français de lutte contre la fraude fiscale. Le rapport de 2022 soulignait notamment la dispersion du renseignement, la lenteur d’exploitation des données, la manque de coordination interservices, ainsi que l’insuffisante utilisation des technologies avancées comme le « big data » et « l’intelligence artificielle ».
La création de l’URF s’inscrit donc dans une volonté de modernisation et de rationalisation des outils de lutte contre la délinquance financière, avec pour ambition de centraliser le renseignement et d’améliorer sa capacité d’analyse et d’action.
Un enjeu stratégique de performance publique
Au-delà des constats techniques, cette réforme s’inscrit dans un contexte plus large d’exigence de transparence fiscale, de justice sociale et de rétablissement de la confiance des citoyens dans les institutions. L’URF vise à :
- Détecter plus rapidement les montages frauduleux complexes.
- Réagir efficacement aux fraudes internationales, notamment celles impliquant des paradis fiscaux ou des plateformes de cryptomonnaies non régulées.
- Optimiser le recouvrement fiscal pour renforcer les recettes de l’État.
Une organisation innovante et technologique
Une structure interservices au cœur du renseignement fiscal
L’URF se distingue par son caractère hybride et interdisciplinaire. Elle regroupe des experts de la Direction Nationale des Enquêtes Fiscales (DNEF), de la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED), et collabore étroitement avec TRACFIN.
La DNEF constitue l’échelon national d’action et de coordination du dispositif de recherche du renseignement fiscal mis en œuvre au niveau territorial de manière autonome par les brigades départementales de contrôle et de recherche (BCR) et les directions interrégionales du contrôle fiscal (DIRCOFI).
Les profils qui y opèrent sont variés : analystes fiscaux, informaticiens, agents de renseignement, douaniers, enquêteurs financiers et juristes. Cette diversité permet une analyse fine et croisée des données, essentielle pour identifier des schémas de fraude de plus en plus sophistiqués.
Une gouvernance resserrée et stratégique
L’URF est placée sous la direction conjointe de la DGFIP et de la DGDDI (Direction Générale des Douanes et Droits Indirects), avec à sa tête Florence Gorius, ancienne cadre de TRACFIN. Elle est épaulée par :
- Un comité de pilotage interservices, garantissant la coordination.
- Un conseil stratégique, en lien avec le ministère de l’Économie et la justice pénale.
Un appui technologique de pointe
L’unité repose sur des outils puissants de « data mining », « d’intelligence artificielle » et de « datavisualisation ». Elle s’alimente en données via une plateforme centralisée qui regroupe :
- Les bases de données fiscales (Ficovie, Lutèce, etc.).
- Les signalements de TRACFIN, de la police, de l’OLAF (Office européen de lutte antifraude).
- Les échanges d’informations fiscales automatisés (normes OCDE).
L’URF fonctionne selon une logique de renseignement prédictif, en détectant les anomalies avant même qu’une infraction ne soit constatée.
Premiers résultats et perspectives d’avenir
Des résultats concrets dès 2024
Le rapport d’activité de la DNEF publié en janvier 2025 confirme l’efficacité de cette nouvelle structure. Parmi les succès notables :
- Le démantèlement de réseaux de fraude à la TVA intracommunautaire.
- La mise en lumière de sociétés fictives dans des secteurs à risque comme le BTP.
- La traque des actifs offshore non déclarés.
- La détection de flux financiers illicites via des cryptomonnaies.
Ces actions ont permis de mettre en recouvrement plus de 220 millions d’euros en 2024.
Un meilleur lien avec la justice pénale
L’URF entretient une relation renforcée avec le Parquet National Financier (PNF) et les juridictions. Les signalements transmis ont doublé, avec des dossiers mieux préparés juridiquement grâce à un protocole de coopération signé avec la DACG (Direction des Affaires Criminelles et des Grâces).
Des agents sont désormais détachés auprès des procureurs financiers, facilitant ainsi la judiciarisation rapide des enquêtes.
Une ambition européenne et des perspectives à long terme
D’ici 2025, les objectifs fixés par Bercy sont ambitieux :
- Augmenter de 50 % les montants récupérés issus de la fraude complexe.
- Renforcer la capacité prédictive des dispositifs de contrôle.
- Prévenir davantage les pertes fiscales.
- Participer à la création d’un modèle européen de renseignement fiscal intégré, via le projet de l’agence européenne anti-fraude (EUFA).
L’URF est ainsi perçue comme une « expérimentation pilote », susceptible d’être déclinée dans d’autres États membres de l’Union européenne.
Conclusion
L’Unité de Renseignement Fiscal (URF) s’impose comme une innovation majeure dans le paysage de la lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent en France. Par sa centralisation des données, sa gouvernance interservices, et son appui technologique avancé, elle marque une rupture avec les dispositifs antérieurs jugés fragmentés et peu efficaces.
Les premiers résultats sont prometteurs : démantèlements de réseaux, recouvrements records, meilleure articulation avec la justice. Mais les défis demeurent : adaptation constante aux nouvelles formes de fraude numérique, coopération internationale accrue, montée en puissance des outils prédictifs.
Si elle poursuit sur cette lancée, l’URF pourrait devenir un modèle européen de lutte contre la criminalité fiscale, alliant efficacité opérationnelle, intelligence des données et exemplarité institutionnelle. Elle incarne ainsi la volonté de l’Etat de protéger ses ressources, de restaurer l’équité fiscale et de moderniser la gouvernance publique.