Rétroactivité de la loi fiscale et insécurité juridique
La non-rétroactivité de la loi fiscale est un principe qui signifie qu’une loi nouvelle ne peut pas s’appliquer aux situations antérieures à son entrée en vigueur. Ce principe est consacré par l’article 2 du Code civil, qui dispose que « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Il s’agit d’une garantie pour les contribuables, qui ne peuvent pas être soumis à une imposition plus lourde ou plus complexe que celle qu’ils connaissaient au moment où ils ont réalisé les faits générateurs de l’impôt.
Le Conseil constitutionnel a affirmé que le principe de non-rétroactivité s’impose au législateur en matière fiscale, sauf en cas de nécessité impérieuse ou pour des motifs d’intérêt général suffisants. Il a ainsi censuré plusieurs dispositions législatives qui portaient atteinte à ce principe, notamment en matière d’impôt sur le revenu, d’impôt sur les sociétés, de taxe sur la valeur ajoutée ou de droits de succession.
Une « non-rétroactivité » qui n’est pas absolue :
Toutefois, la non-rétroactivité de la loi fiscale n’est pas absolue. Le législateur peut adopter des mesures rétroactives dans certains cas, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Par exemple, il peut prévoir des mesures d’interprétation authentique, qui visent à préciser le sens et la portée d’une loi antérieure, sans en modifier le contenu. Il peut également prévoir des mesures de validation législative, qui visent à confirmer la légalité d’une pratique administrative contestée par le juge. Il peut enfin prévoir des mesures d’adaptation, qui visent à harmoniser le droit interne avec le droit européen ou international.
Ainsi, le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse adopter des dispositions fiscales rétroactives dans trois cas :
– lorsque la rétroactivité est justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ;
– lorsque la rétroactivité vise à valider des actes administratifs ou juridictionnels ;
– lorsque la rétroactivité a pour objet de corriger une erreur ou une omission de la loi antérieure.
Par exemple, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution une disposition de la loi de finances pour 2012 qui modifiait rétroactivement le régime fiscal des indemnités de rupture du contrat de travail, au motif qu’elle visait à mettre fin à une inégalité de traitement entre les salariés.
En outre, le Conseil d’État reconnaît que l’administration fiscale peut prendre des mesures d’interprétation rétroactive de la loi fiscale, à condition qu’elles ne remettent pas en cause les situations légalement acquises. Il s’agit des circulaires, instructions ou rescrits qui précisent le sens et la portée des dispositions fiscales, sans les modifier ni les compléter. Ces mesures sont opposables aux contribuables, mais aussi à l’administration, qui ne peut pas leur appliquer un régime moins favorable que celui qu’elles prévoient.
Souvent un écueil pour les contribuables :
Or s’il est un champ d’application de la loi fiscale dans lequel les contribuables – souvent des investisseurs – se retrouvent « malmenés » par une remise en cause (facile) par l’administration fiscale des réductions d’impôts dont ils ont pu et cru pouvoir bénéficier pendant toute la durée de leur engagement, c’est bien celui des investissements, de types immobilier-locatif (Scellier, Pinel, Duflot, Censi-Bouvard, etc) ou encore Girardin, etc.
Il suffit en effet qu’une disposition législative intervienne au beau milieu d’une période d’engagement (de location ; de conservation de participations, etc) pour modifier les conditions du régime fiscal ayant jusque-là prévalu et attiré les investisseurs et leur ayant ouvert droit à une réduction d’impôt annuelle, pour que, ces revirements de la loi étant souvent rétroactifs, les avantages qui avaient été initialement acquis se transforment en désavantages, « rectifications de leurs revenus » à la clef, avec pénalités.
C’est une situation à la fois injuste, déstabilisante, quasiment imprévisible, dommageable pour les contribuables, et qui les place dans une situation d’insécurité juridique tout à fait anormale.
Une tentative législative pour « tordre le cou » à cette rétroactivité :
Le 7 novembre 2017, le député Charles de Courson a déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi qui vise à limiter le recours aux dispositions fiscales de portée rétroactive. Le parlementaire a en effet estimé que la « rétroactivité » des dispositions fiscales a freiné l’attractivité de la France et a fait naître un sentiment d’insécurité juridique chez les contribuables concernés, donnant même lieu à certains abus et constituant un frein à l’initiative personnelle et à la liberté d’entreprendre.
Il a donc décidé de déposer cette proposition de loi organique afin de limiter en droit le recours à la loi rétroactive, à l’exemple de la pratique observée dans certains pays européens, son champ d’application concernant les dispositions fiscales contenues dans les lois, dans les lois de finances, ainsi que dans les lois de financement de la sécurité sociale. Dans ladite proposition de loi, la rétroactivité des mesures d’allègements en matière d’impôts indirects telle que la TVA se voulait permise pour éviter l’anticipation ; la rétroactivité liée à l’abrogation par anticipation d’un avantage fiscal se voyait par ailleurs placée sous le contrôle d’une « règle » en droit interne français et concernerait tous les contrats dont l’exécution varie entre 1 et 15 ans et dont l’équilibre financier serait compromis par une mesure rétroactive introduite postérieurement à leur entrée en vigueur.
La proposition de loi organique de Charles de Courson, député du groupe Libertés et territoires, visait à limiter le recours aux dispositions fiscales de portée rétroactive, c’est-à-dire qui modifient les règles applicables à des situations antérieures à leur entrée en vigueur. Selon l’exposé des motifs, cette pratique porte atteinte au principe de sécurité juridique et à la confiance des contribuables dans la stabilité du droit fiscal.
Tentative parlementaire demeurée « lettre morte » :
déposée à l’Assemblée nationale le 7 novembre 2017, la proposition de loi a été renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Elle a été examinée par cette dernière le 31 mars 2021 et le 7 avril 2021, laquelle a adopté un rapport favorable et huit amendements. Mais cette proposition de loi n’a pas encore été inscrite à l’ordre du jour de la séance publique.
Le texte retenu après passage devant la commission précitée, prévoit que les dispositions fiscales ne peuvent avoir d’effet rétroactif que si elles sont justifiées par un motif impérieux d’intérêt général et qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits et situations légalement acquis. Il prévoit également que les dispositions fiscales plus favorables peuvent s’appliquer rétroactivement aux situations en cours à la date de leur entrée en vigueur.
Conclusion
La non-rétroactivité de la loi fiscale est donc un principe fondamental du droit fiscal français, mais qui connaît cependant des exceptions limitées et encadrées. Il convient donc pour les contribuables de se tenir informés des évolutions législatives et jurisprudentielles en la matière, afin de connaître leurs droits et obligations.
Questions & Réponses (0)