A l’heure où les agressions mortelles contre les représentants de l’ordre et les acteurs du secours deviennent tristement fréquentes, la question du traitement fiscal des ayants droit de ces victimes héroïques se pose.
Policiers, gendarmes, militaires, pompiers, médecins ou secouristes décédés dans l’exercice de leurs fonctions – qu’il s’agisse de missions courantes ou d’actes terroristes – laissent derrière eux des familles confrontées non seulement à la douleur, mais aussi à des démarches administratives lourdes, notamment en matière d’imposition.
Pour alléger ce fardeau, l’Etat français, à travers la Direction générale des finances publiques (DGFIP), a mis en place un dispositif fiscal exceptionnel, fondé sur des principes de bienveillance et de solidarité nationale.
S’appuyant sur plusieurs articles du code général des impôts (CGI), notamment les articles 757, 787, 796, 81, 1691 ter, L247 du Livre des Procédures Fiscales (LPF), et enrichi par la jurisprudence administrative, ce cadre offre aux familles endeuillées des exonérations fiscales ciblées, des allègements de démarches et des remises gracieuses.
Fondements juridiques de ces mesures fiscales exceptionnelles
Les mesures de bienveillance fiscale en faveur des ayants droit reposent sur un socle juridique solide :
- Article 796, 6° du CGI : exonération des droits de succession pour les agents morts dans l’exercice de leurs fonctions ou victimes de terrorisme.
- Article 81, 9° du CGI : exonération totale d’impôt sur le revenu des pensions versées aux conjoints survivants et indemnités compensatoires.
- Article 757 B du CGI : abattement exceptionnel pour les successions issues d’un décès reconnu comme résultant du service.
- Article L247 du LPF : possibilité de remise gracieuse des dettes fiscales.
- Article 1691 ter 2° du CGI : permet des facilités de paiement pour les ayants droit.
Conseil d’État et jurisprudence administrative : plusieurs décisions viennent affirmer le droit à l’exonération, comme l’arrêt du CE, 26 octobre 2012, n° 347952, reconnaissant l’exonération même en l’absence de mention explicite sur l’acte de décès.
Exonérations d’impôt sur le revenu
Pensions de réversion exonérées
Les pensions versées aux conjoints survivants des victimes sont totalement exonérées d’impôt, sans plafond de revenus, selon l’article 81, 9° du CGI. Il s’agit d’un soutien direct et pérenne pour les veuves ou veufs d’agents tués.
Indemnités compensatoires non imposables
Les indemnités versées par l’Etat ou par des fonds de garantie, notamment le Fonds pour les victimes du terrorisme, sont également exonérées d’impôt. Cette disposition garantit que les aides perçues en réparation d’un préjudice moral ne soient pas soumises à l’impôt, assurant ainsi une compensation intégrale et digne.
Droits de succession et fiscalité patrimoniale allégée
Exonération totale des droits de mutation
Grâce à l’article 796 du CGI, les conjoints, enfants et, dans certains cas, les ascendants, peuvent bénéficier d’une exonération totale des droits de succession lorsque le défunt est « mort pour la France » ou en service.
Jurisprudence favorable
La jurisprudence administrative, renforcée par des décisions telles que le tribunal administratif (TA) de Paris, a systématiquement confirmé cette exonération lorsqu’un lien direct entre le décès et l’exercice de la mission est établi.
Réductions et remises sur d’autres impôts locaux
Taxe d’habitation et taxe foncière
Bien que la taxe d’habitation soit en voie de suppression, certaines résidences secondaires restent concernées. Les familles peuvent alors solliciter des dégrèvements, tout comme pour la taxe foncière sur les propriétés bâties (CGI art. 1391 B).
Mesures déclaratives et bienveillance administrative
Démarches simplifiées
La DGFIP propose des guichets uniques, une assistance déclarative et des formulaires spécifiques identifiant le décès en service. Cela permet une activation automatique des exonérations, réduisant ainsi la charge mentale des familles.
Déclarations de revenus facilitées
Conformément à l’article 204 du CGI, une déclaration séparée des revenus du défunt jusqu’à la date de décès est possible, avec un délai supplémentaire accordé en cas de circonstances exceptionnelles.
Remises gracieuses et délais de paiement
L’administration peut suspendre ou annuler les dettes fiscales du défunt grâce à l’article L247 du Livre des procédures fiscales (LPF) et octroyer des facilités de paiement en vertu de l’article 1691 ter 2° du CGI. Ces décisions sont prises au cas par cas, mais la doctrine recommande un traitement bienveillant et accéléré.
Le rôle central de la jurisprudence administrative
Les tribunaux administratifs et la Cour de cassation veillent à la correcte application de ces mesures, en garantissant l’équité fiscale pour les familles endeuillées. Des décisions récentes ont confirmé l’obligation d’interprétation favorable, y compris lorsque les documents justificatifs manquent en raison de l’urgence ou de la confidentialité des missions (ex : interventions militaires, services spéciaux).
La CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne), elle aussi, souligne dans ses arrêts que les Etats membres doivent garantir une égalité de traitement des ayants droit et une compatibilité des régimes nationaux avec les principes européens de solidarité.
Conclusion
Les dispositifs fiscaux de bienveillance en faveur des familles d’agents publics morts en service constituent un pilier méconnu mais essentiel de la reconnaissance républicaine.
Porté par des articles emblématiques du CGI (757, 787, 796, 81), enrichi de la jurisprudence du Conseil d’État, des TA, et même du droit européen (CJUE), ce régime permet une exonération d’impôt sur le revenu, des droits de succession, et un accompagnement personnalisé des ayants droit.
En plus de répondre à un impératif de justice fiscale, ces mesures traduisent une volonté politique forte de ne pas laisser les familles seules face aux complexités administratives. Le développement d’outils déclaratifs simples, la coopération interministérielle (Intérieur, Armées, Bercy) et l’évolution constante des textes vers davantage de clarté et de solidarité témoignent de cette dynamique vertueuse.