La complexité de l’organisation administrative française, souvent résumée sous le terme évocateur de « millefeuille administratif », fait l’objet de critiques récurrentes pour son inefficacité, ses lenteurs bureaucratiques et surtout son coût. Face à cette problématique persistante, le gouvernement, soutenu par plusieurs groupes parlementaires, s’est engagé en 2024 et 2025 dans une vaste réforme de simplification administrative.
Le projet de loi débattu à l’Assemblée nationale prévoit la suppression ou la fusion de nombreuses commissions, agences, comités et opérateurs publics, dont l’utilité ou la pertinence sont remises en cause.
Toutefois, si les objectifs affichés sont la rationalisation et la réduction des dépenses publiques, la démarche soulève des débats politiques et sociaux intenses, notamment autour des critères retenus pour ces suppressions.
Une volonté politique (en tout cas annoncée) de simplification et de maîtrise des dépenses
Le contexte d’un « grand ménage » administratif
La réforme engagée s’inscrit dans une dynamique de rationalisation de l’action publique portée par le ministre de l’Action publique et de la Simplification, Laurent Marcangeli. En commission spéciale, les députés ont commencé à examiner un projet de loi de simplification de la vie économique, dans lequel la question du « millefeuille administratif » occupe une place centrale.
La France compte actuellement plusieurs centaines d’organismes consultatifs ou décisionnels, allant des agences spécialisées aux comités consultatifs, en passant par des autorités indépendantes et des opérateurs de l’État. Beaucoup d’entre eux sont critiqués pour leur manque d’efficacité, leur faible activité ou leur redondance avec d’autres structures.
Des suppressions ciblées mais massives
En réponse, une série d’amendements a été proposée, visant à supprimer plus de 30 structures dès les premières discussions parlementaires. Certaines structures emblématiques comme le « Conseil national de la montagne », l’ « Observatoire de l’alimentation » ou encore l’ « Agence de financement des infrastructures de transport » figurent parmi les entités ciblées.
L’objectif est double : limiter la dispersion des compétences administratives et réaliser des économies. Cette démarche s’aligne avec une vision d’un État recentré sur ses fonctions essentielles et plus efficient dans ses actions.
L’impact budgétaire attendu et les enjeux économiques
Des économies substantielles envisagées
Les chiffres avancés soulignent le poids financier des structures administratives en question. A titre d’exemple, les commissions consultatives à elles seules représenteraient un budget annuel de 22 millions d’euros. Plus globalement, les 1 200 agences de l’Etat mobilisent chaque année environ 80 milliards d’euros, même si toutes ne sont pas directement concernées par la réforme en cours.
Le Rassemblement National (RN) a poussé cette logique encore plus loin, en proposant la suppression ou la fusion de près de 80 agences et opérateurs, espérant générer jusqu’à 8 milliards d’euros d’économies immédiates. Cette proposition inclut des structures aussi variées que l’ « Agence nationale de la recherche », l’ « Office français de la biodiversité », l’ « Ademe » (Agence de la transition écologique) ou encore la « Commission de régulation de l’énergie ».
Une gestion plus directe par l’administration centrale
Le RN justifie sa proposition par une meilleure gestion budgétaire via l’intégration de certaines missions dans les ministères existants. Le remplacement des personnels contractuels de ces agences par des agents de l’administration centrale à effectifs constants est perçu comme une source de rationalisation.
Certaines missions seraient même, selon les propos du RN, « purement et simplement supprimées », car jugées non prioritaires. Bien entendu, d’autres courants politiques ont fait aussi des propositions d’économies budgétaires similaires.
Polémiques et critiques : entre efficacité et service public
Des accusations de coupes idéologiques et aveugles
Cette réforme, bien qu’appuyée sur des impératifs budgétaires, n’échappe pas à la controverse. Des députés de gauche et certains collectifs comme « Nos services publics » dénoncent ce qu’ils appellent des « coupes à la tronçonneuse » ou « à l’aveugle ». La suppression de certains organismes, notamment dans le domaine environnemental, culturel ou sanitaire, est jugée problématique en termes de continuité et de qualité du service public.
De plus, la « Commission nationale du débat public » (CNDP), menacée de disparition, est emblématique des critiques : cette instance permet une participation citoyenne aux projets d’impact environnemental majeur. Sa suppression pourrait représenter un recul démocratique, en particulier dans une époque marquée par une demande croissante de transparence et d’implication citoyenne.
Des doutes sur la faisabilité des fusions
Des experts ont également exprimé leurs réserves sur la faisabilité technique de certaines fusions. Par exemple, la proposition de regrouper « France Compétences » et « France Travail » semble difficilement réalisable du fait de leurs missions distinctes et de leur mode de fonctionnement propre. Une fusion mal pensée risquerait de perturber les usagers et de réduire la qualité des services rendus.
Réformer sans démolir : quelles alternatives ?
Vers une meilleure coordination plutôt qu’une suppression généralisée
Un rapport remis par Boris Ravignon suggère des alternatives à la simple suppression d’agences : il plaide pour une meilleure coordination entre les acteurs publics et un renforcement du rôle de l’État, notamment à travers les préfectures. Cette approche vise à réduire les doublons sans nécessairement faire disparaître des entités utiles.
Il s’agit donc de trouver un juste équilibre entre économies budgétaires et maintien d’un service public performant. Supprimer une structure sans avoir prévu son remplacement ou l’intégration de ses missions ailleurs pourrait créer des ruptures dans l’accompagnement des usagers, notamment dans les domaines sensibles comme la santé, l’environnement ou l’inclusion.
Limiter l’éparpillement des compétences
Une des pistes consensuelles repose sur la clarification des rôles entre l’Etat central et les collectivités territoriales. Le « millefeuille administratif » est aussi une question de superposition des responsabilités entre communes, départements, régions et Etat. La simplification pourrait donc passer par une refonte territoriale plus ambitieuse, même si la suppression d’un niveau de collectivité, comme les départements, semble encore peu envisagée politiquement.
Conclusion
La réforme du « millefeuille administratif » constitue un enjeu majeur pour l’État français, tant en termes d’efficacité que de crédibilité. La volonté de simplifier l’appareil administratif et de réaliser des économies importantes est largement partagée, mais les moyens proposés divisent profondément. Entre les suppressions massives d’agences envisagées par certains groupes politiques et les appels à une rationalisation progressive et concertée, le débat reste ouvert.
Pour être pleinement légitime et durable, cette réforme devra non seulement répondre aux exigences budgétaires, mais aussi préserver la qualité des services publics et maintenir un lien de confiance avec les citoyens. Réformer ne doit pas signifier affaiblir, mais repenser avec cohérence et exigence l’organisation de l’action publique.