En France, l’investissement locatif a longtemps été considéré comme un pilier de la constitution d’un patrimoine. Offrant à la fois sécurité, complément de revenus et potentiel de plus-value, il a séduit des générations entières de bailleurs particuliers.
Pourtant, le paysage a radicalement changé. Entre fiscalité alourdie, normes réglementaires contraignantes, et rentabilité en baisse, de nombreux propriétaires choisissent aujourd’hui de se désengager du marché.
Paradoxalement, les jeunes investisseurs continuent de s’intéresser à la pierre, souvent attirés par des dispositifs d’incitation fiscale et des solutions alternatives comme les SCPI ou le « crowdfunding immobilier ». A travers ce constat en demi-teinte, se dessine une nouvelle ère pour l’immobilier locatif français.
Pourquoi de nombreux propriétaires vendent leurs biens locatifs
Une fiscalité devenue trop lourde
La fiscalité des revenus fonciers en France est l’un des principaux facteurs du désengagement des propriétaires. Entre l’impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux et, pour certains, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, la pression fiscale peut dépasser 60 %.
Même le prélèvement forfaitaire unique (PFU ou « flat tax » à 30 %) devient peu avantageux dans de nombreux cas. Par ailleurs, la taxe foncière, longtemps perçue comme stable, a explosé dans certaines villes : +62 % à Paris en 2023, +25 à 30 % dans d’autres métropoles.
Enfin, d’autres prélèvements comme la taxe sur les logements vacants ou la CVAE viennent grever encore davantage les rendements nets.
Des normes toujours plus contraignantes
L’encadrement législatif du marché locatif ne cesse de se durcir. Depuis la loi Climat et Résilience, les logements classés F et G au DPE sont progressivement interdits à la location (depuis 2023 pour les G+, et d’ici 2028 pour les F). Or, près de 5,2 millions de logements sont concernés.
Le coût moyen d’une rénovation énergétique oscille entre 20 000 et 60 000 euros par logement. De plus, la multiplication des diagnostics obligatoires (jusqu’à 11) et l’encadrement des loyers dans certaines zones réduisent le champ d’action des bailleurs.
Cette accumulation de contraintes crée un sentiment d’insécurité et d’instabilité, renforcé par les changements de cap fréquents des politiques publiques.
Une rentabilité de plus en plus dégradée
Avec un rendement locatif brut moyen de 4,2 %, et souvent moins de 2 % net une fois les charges, impôts et aléas déduits, l’immobilier locatif classique ne fait plus rêver.
A Paris, un bien à 300 000 euros loué 1 100 euros par mois peut rapporter moins de 1 % net. De plus, la vacance locative et les impayés fragilisent la trésorerie. Les frais de contentieux en cas de litige (huissier, avocat) peuvent dépasser 1 500 euros, sans certitude de recouvrement. Face à cette équation peu avantageuse, de nombreux propriétaires préfèrent vendre.
Le désengagement massif des bailleurs : un phénomène mesurable
Depuis 2023, les signes de désaffection sont clairs : les ventes dans le neuf sont passées de 60 000 à 15 000 unités, tandis que les achats dans l’ancien par des investisseurs ont chuté d’un tiers.
Selon le Conseil supérieur du notariat, 1 bien sur 3 vendu en 2023 appartenait à un bailleur sortant du marché. Certains vont jusqu’à liquider la totalité de leur patrimoine locatif, jugeant la transmission de ces biens comme un « cadeau empoisonné » à leurs enfants. Les causes avancées sont les mêmes : charges trop élevées, fiscalité confiscatoire, exigences croissantes des locataires, incertitude politique et instabilité réglementaire.
Pourtant, l’immobilier attire encore les jeunes générations
Des conditions de financement historiquement favorables
Malgré la hausse des taux d’intérêt (de 1,2 % à plus de 4 % en deux ans), certaines périodes récentes ont permis à de jeunes acheteurs d’accéder au crédit dans des conditions avantageuses : durées longues (jusqu’à 25 ans), faibles apports exigés (5 à 10 %), et mensualités allégées. Même aujourd’hui, certains établissements restent ouverts à l’investissement locatif, en particulier dans le neuf.
Des dispositifs fiscaux incitatifs
La loi Pinel, le Prêt à Taux Zéro (PTZ) et les statuts LMNP/LMP continuent de séduire les primo-investisseurs. En zone tendue, la réduction d’impôt offerte par le Pinel peut atteindre 21 % du prix du bien.
Les régimes LMNP/LMP permettent quant à eux d’amortir le bien et d’optimiser sa fiscalité. Ces outils, bien que complexes, rendent l’investissement plus accessible pour des jeunes souhaitant se constituer un patrimoine.
De nouvelles formes d’investissement plus flexibles
Les jeunes investisseurs se tournent de plus en plus vers des modèles hybrides ou indirects : SCPI, foncières cotées, ou encore « crowdfunding immobilier » (à partir de 1 000 euros). Ces options permettent d’éviter les tracas de la gestion locative tout en diversifiant les risques.
Par ailleurs, des niches comme le « coliving » ou la colocation étudiante offrent des rendements plus élevés (jusqu’à 1 point de plus) mais demandent une gestion plus active.
Mais des freins tout de même bien réels pour la nouvelle génération
Malgré ces attraits, l’accès à l’investissement locatif reste semé d’embûches pour les jeunes :
- prix élevés du foncier, surtout en Île-de-France ou dans les grandes villes (+35 % depuis 2010) ;
- taux d’endettement limité à 35 %, restreignant les capacités d’achat ;
- manque de connaissance en gestion, fiscalité, législation ;
- crainte des impayés, des travaux et de la complexité administrative.
Résultat : une majorité de jeunes préfère différer leur projet, ou choisir des solutions plus passives.
Conclusion
L’immobilier locatif français vit une transition majeure. Si les propriétaires traditionnels quittent massivement le navire, écœurés ou refroidis par la fiscalité, les normes et la faible rentabilité, une nouvelle génération d’investisseurs continue de s’intéresser à la pierre. Mais leur approche est plus stratégique, plus digitale, et souvent plus prudente.
Le modèle du bailleur classique s’efface au profit de nouvelles formes d’investissement plus souples, mutualisées et encadrées.
Pour relancer l’attractivité de ce secteur vital pour le logement, les pouvoirs publics devront simplifier les démarches, clarifier les règles et surtout, offrir un environnement fiscal et réglementaire plus stable. L’avenir de l’immobilier locatif dépendra de cette capacité à réconcilier rentabilité, accessibilité et durabilité.