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La substitution de base légale en droit fiscal français : définition, conditions, conséquences et perspectives comparées

Didier Brochon Rédacteur Expert en Fiscalité Author expertise
Faits Vérifiés par:
Hando Tiana Rédacteur Expert

En contentieux fiscal, il n’est pas rare que l’administration doive « sauver » une imposition mal fondée. Pour ce faire, elle dispose d’un outil juridique spécifique : la substitution de base légale. Ce mécanisme permet de remplacer le texte initialement retenu pour justifier une imposition contestée par un autre fondement juridique, sans modifier la nature de l’impôt.

Encadrée par la jurisprudence, le Code général des impôts (CGI) et le Livre des procédures fiscales (LPF), cette technique est devenue centrale dans la pratique du contrôle fiscal français. Elle constitue à la fois un instrument de régularisation pour l’administration et une source d’incertitude pour le contribuable, qui doit veiller à ce que ses garanties procédurales soient respectées.

Voici de manière claire et structurée la définition et le cadre juridique de la substitution de base légale, ses conditions d’application, ses conséquences fiscales et procédurales, ainsi que son traitement dans certains systèmes étrangers afin de mieux en mesurer la spécificité française.

Définition et cadre juridique de la substitution de base légale

Origine et définition

La substitution de base légale est la faculté reconnue à l’administration fiscale, en défense, d’invoquer un autre fondement juridique que celui initialement utilisé pour établir une imposition. L’objectif est de maintenir le redressement malgré l’invalidation du texte initial.

En d’autres termes, lorsqu’un contribuable conteste la légalité d’un rehaussement, l’administration peut corriger sa base en invoquant une disposition plus adaptée aux faits. Ce mécanisme est distinct de la compensation d’assiette (articles L.203 à L.205 du Livre des procédures fiscales -LPF), qui vise à équilibrer omissions et surtaxes sans changer le fondement juridique.

La jurisprudence du Conseil d’Etat a précisé les contours de ce pouvoir. L’arrêt Hallal (CE, 6 février 2004) a posé la règle cardinale en droit administratif : la substitution est admise si les faits restent inchangés et si le contribuable ne perd aucune garantie attachée à la nouvelle base. Cette logique irrigue aujourd’hui le contentieux fiscal.

Sources législatives et administratives

Les textes de référence sont nombreux. Du côté du LPF, les articles L.57 (procédure contradictoire), L.59 et L.59 A (droit de saisine des commissions départementales des impôts), ainsi que les délais de reprise (L.169, L.176, L.189) jouent un rôle déterminant. 

Le CGI fournit aussi des exemples concrets, tels que le passage d’une imposition sur les bénéfices industriels et commerciaux (BIC, art. 34) à une imposition sur les bénéfices non commerciaux (BNC, art. 92), ou encore la requalification de bénéfices occultes en revenus distribués (art. 109 et s.).

L’administration a codifié sa doctrine dans le BOFiP (BOI-CTX), qui expose les cas dans lesquels une substitution est envisageable, ses limites et l’office du juge.

Conditions d’application de la substitution de base légale

La substitution de base légale est strictement encadrée afin d’éviter les abus et de préserver l’équilibre entre l’intérêt fiscal et les droits du contribuable. Trois conditions majeures se dégagent.

L’identité de l’impôt

Le premier critère est l’identité d’impôt. La substitution ne peut concerner qu’une même imposition. Il n’est pas possible de transformer une procédure relative à l’impôt sur le revenu en une procédure sur la TVA, par exemple.

Le mécanisme vise uniquement à corriger la qualification juridique de l’assiette ou du calcul, et non à instaurer une nouvelle imposition.

L’initiative exclusivement administrative

Seule l’administration peut demander la substitution de base légale, et devant le juge de l’impôt. Le contribuable ne dispose pas de cette faculté, même s’il peut, en pratique, bénéficier de la logique de requalification lorsqu’elle lui est favorable.

La demande de substitution peut intervenir à tout moment du contentieux de l’assiette, y compris pour la première fois en appel. En revanche, le juge ne peut pas la soulever d’office : il revient à l’administration de la solliciter.

Le respect des garanties procédurales

La condition essentielle est le respect des garanties attachées à la nouvelle base légale. Si la substitution prive le contribuable d’un droit procédural (par exemple, la saisine d’une commission départementale prévue par les articles L.59 et L.59 A), elle est déclarée irrecevable par le juge de l’impôt.

De même, si la nouvelle base implique une procédure contradictoire alors que l’imposition a été effectuée d’office, l’administration doit recommencer la procédure.

A l’inverse, une procédure contradictoire « couvre » souvent une taxation d’office, puisque le contribuable a déjà eu l’occasion de présenter ses observations.

Conséquences fiscales et procédurales

La substitution de base légale entraîne des effets pratiques considérables, tant pour l’administration que pour le contribuable.

Requalification de l’assiette de l’impôt

La substitution permet de changer la catégorie fiscale d’un revenu ou d’un redressement sans annuler l’imposition. Par exemple, transformer des BIC en BNC, ou requalifier des bénéfices occultes en revenus distribués. L’administration doit cependant respecter scrupuleusement les procédures spécifiques (notamment la proposition de rectification prévue par l’art. L.57)

Incidences sur les pénalités et intérêts

Le changement de base peut entraîner une modification du régime de pénalités. Ainsi, le manquement délibéré (40 %, art. 1729 du CGI) ou les intérêts de retard (art. 1727 du CGI) doivent être motivés en fonction de la nouvelle qualification. La substitution ne peut pas régulariser a posteriori une absence de motivation des sanctions, sous peine de nullité.

Neutralisation des demandes de décharge

La substitution neutralise l’effet d’une contestation du contribuable. Même si ce dernier démontre que la base initiale était erronée, l’administration peut maintenir l’imposition en invoquant un nouveau fondement légal, à condition de respecter les droits procéduraux.

Limites liées à la prescription

La substitution ne prolonge pas le délai de reprise. L’administration doit agir avant l’expiration des délais fixés par les articles L.169 et suivants du LPF. En pratique, une nouvelle proposition de rectification doit être notifiée avant prescription.

Différence avec la compensation d’assiette

La substitution de base légale ne doit pas être confondue avec la compensation. La première modifie le fondement juridique, la seconde équilibre les omissions et surtaxes constatées. Le juge peut admettre une compensation d’office, mais pas une substitution, que l’administration doit demander.

La substitution de base légale à l’étranger

Si la notion de « substitution de base légale » est propre au droit fiscal français, d’autres systèmes prévoient des mécanismes similaires.

Au Royaume-Uni

Le « HM Revenue & Customs (HMRC) » peut défendre une imposition en invoquant de nouveaux arguments juridiques, même pour la première fois en appel, tant que le contribuable ne perd pas ses droits procéduraux. Les tribunaux fiscaux britanniques appliquent les règles d’équité et de « fair notice » pour contrôler cette pratique.

Aux Etats-Unis

L’ « IRS » et la « Tax Court » admettent qu’une imposition puisse tenir sur tout fondement juridique valide. Et ce, même si la notification initiale reposait sur un autre texte. Le contribuable doit toutefois être informé et disposer du temps nécessaire pour répondre.

En Allemagne, Italie et Espagne

En Allemagne, l’administration peut requalifier les faits fiscaux mais dans le cadre d’un régime procédural propre, sans recourir au terme de substitution. 

Parallèlement, Italie, l’« accertamento integrativo » et, en Espagne, la « regularización » permettent également d’adapter la base d’imposition, sous réserve de respecter les droits du contribuable.

Une spécificité française

La France se distingue par la formalisation explicite de ce mécanisme dans sa jurisprudence et sa doctrine administrative. Ailleurs, la pratique existe mais repose sur des règles générales de contentieux et de procédure.

Conseils pratiques en cas de mise en œuvre de la substitution de base légale par l’administration fiscale

  • Vérifier la procédure. Avant d’accepter une substitution, contrôler si le contribuable a bien bénéficié des droits spécifiques (LPF L.57, L.59/L.59 A, L.16/L.69 le cas échéant). Une substitution qui retirerait le droit à la Commission est en principe irrecevable. 
  • Tester la prescription. La substitution n’interrompt pas par elle-même la prescription. L’administration doit donc agir dans les délais (L.169, L.189, L.188 C). 
  • Distinguer compensation/substitution : ne pas accepter qu’une demande de compensation L.203-L.205 dissimule en fait une véritable substitution qui n’en respecterait pas les conditions. 
  • Exiger la motivation et les pièces justificatives. La charge de la preuve du bien-fondé de la nouvelle base incombe à l’administration. Et à défaut d’éléments suffisants, la substitution échoue : elle sera  déclarée nulle par les tribunaux.

Conclusion

La substitution de base légale constitue un instrument puissant au service de l’administration fiscale française. Elle permet de corriger une erreur de qualification juridique en maintenant l’imposition, tout en respectant des conditions strictes : identité de l’impôt, initiative exclusivement administrative, et surtout respect des garanties procédurales du contribuable.

Ses effets sont importants : requalification de l’assiette, maintien de l’imposition malgré une contestation, adaptation des pénalités, mais sans possibilité d’allonger les délais de reprise. En cas d’irrégularité, l’administration doit reprendre toute la procédure.

Comparativement, d’autres pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis admettent des pratiques analogues, mais dans un cadre procédural différent, moins formalisé. La substitution de base légale demeure donc une spécificité française, reflet d’un équilibre délicat entre efficacité administrative et protection des droits du contribuable.

NB : cet article a vocation informative et ne constitue pas un conseil juridique. Chaque situation doit s’analyser en fonction des faits et de la procédure suivie.

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Didier Brochon Rédacteur Expert en Fiscalité

Didier Brochon Rédacteur Expert en Fiscalité

Dans la filière fiscale, je suis particulièrement compétent et formaté pour la fiscalité des entreprises et des particuliers, le contrôle fiscal et son assistance, les conseils aux entreprises et aux particuliers, le traitement des contentieux suite aux contrôles fiscaux, l'assistance aux vérifications de comptabilité informatisées (compétence informatique particulière dans le traitement des données), mais apte à défendre de la même manière un contrôle fiscal des particuliers (contrôle sur pièces, ou un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'ensemble; impositions directes locales: taxe d'habitation, taxes foncières), je suis également compétent dans une autre spécialité mal connue, y compris de beaucoup d'avocats, les évaluations domaniales de valeurs vénales et de valeurs locatives d'immeubles, évaluations des indemnisations en matière d'expropriations pour cause d'utilité publique, et leurs contentieux (au sein de l'Agence France Domaine en qualité de Chargé de mission, évaluateur et commissaire du gouvernement devant le Juge de l'expropriation et devant les SAFER).

Ma carrière administrative m'a valu d'exercer dans pratiquement tous les domaines du droit fiscal, y compris international, au sein de plusieurs Grandes Directions Nationales (ex-DSGI aujourd'hui DRESG ; DNVSF, en liaison avec Bercy, puis dans une Grande Direction Régionale de contrôles fiscaux, la DIRCOFI Centre-Val de Loire). 

Plus que mes compétences techniques très étendues, ma personnalité s'est toujours distinguée par une exigence de rigueur, mon adaptabilité, l'esprit d'analyse et de synthèse, le pragmatisme, la créativité, réactivité, curiosité, l'aisance relationnelle et en équipe, la vitesse de compréhension et d'exécution, le goût de l'initiative, des responsabilités et de la négociation. J'aurais pu par exemple intégrer un cabinet spécialisé, pour assurer la défense des intérêts des clients dans les domaines précités. J'aurais tout aussi bien pu travailler en "back office" en défense et recours des contribuables vérifiés, sur études des dossiers, ou les assister pendant les vérifications. Mes principaux hobbies sont : musique, art en général et littérature en particulier, étant auteur publié, et je suis également intéressé par l'activité de rédacteur.

Mes compétences fiscales et "para-fiscales" sont des plus étendues : juridiques (droit civil, fiscal et pénal découlant du fiscal, et droit de l'urbanisme + droit administratif, public et constitutionnel).

Aujourd'hui à la retraite, je reste actif en qualité d'auto-entrepreneur, en matière de conseils et défense en fiscalité des particuliers uniquement, et secondairement conseil dans les activités liées à l'écriture. Mon site web professionnel est https://www.cdjf-casav.com, où je réponds aux contribuables (ou écrivains) qui me sollicitent (mes tarifs et honoraires y sont clairement mentionnés).

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