L’or a multiplié les records en 2025, sur fond de dettes publiques élevées et de méfiance envers les grandes monnaies. Dans ce contexte, un acteur inattendu, Tether, s’est progressivement imposé parmi les principaux acheteurs de métal jaune. Une irruption qui relance la question d’un possible “doping” crypto de la prime refuge.
Tether, la « gold whale » qui rivalise avec des États
Selon un rapport de la banque Jefferies, Tether détiendrait actuellement environ 116 tonnes d’or via ses réserves et son token Tether Gold (XAUt), pour une valeur de 14 milliards de dollars. Une position qui place déjà Tether au niveau de certaines petites banques centrales.
Jefferies estime aussi que Tether a acheté près de 26 tonnes au troisième trimestre, ce qui représente 2 % de la demande mondiale et plus de 10 % des achats des banques centrales. De plus, ces flux coïncident avec les deux grandes jambes haussières ayant porté le métal roi en 2025.
Tether ne vend pourtant pas de lingots au détail. Au contraire, l’émetteur du stablecoin USDT et du jeton XAUt accumule de l’or pour diversifier ses réserves, actuellement dominées par les bons du Trésor américain. L’or devient ainsi un actif de réserve privé géré depuis la sphère crypto.
Mais c’est le moment de rappeler que cette stratégie se heurte au nouveau cadre réglementaire américain. En effet, le GENIUS Act adopté cet été interdit aux stablecoins “conformes” d’utiliser l’or comme collatéral. Tether prépare donc un stablecoin régulé, USAT, ne reposant pas sur l’or, et renforce dans le même temps le poids du métal jaune dans ses réserves d’USDT.
Précisons également que la puissance de feu de Tether repose sur des profits records issus de ses placements en dette américaine. Car ses 10 milliards de bénéfices annuels donnent à l’émetteur des munitions pour acheter des lingots, à tel point que certains le comparent à une banque centrale privée.
Dans ce contexte, plusieurs analystes estiment que le rôle de Tether dans le rallye de 2025 est sous-estimé. Et sur un marché déjà tendu par les banques centrales, il apparaît qu’un acheteur marginal prêt à intervenir sur chaque repli a le potentiel d’amplifier les mouvements et d’influencer le sentiment, même s’il ne domine pas la demande totale.
Crypto is joining the global gold rush:
Tether’s gold holdings hit a record $12.9 billion in September.
This equates to 104 tonnes of physical gold.
The value of its gold holdings has DOUBLED since the beginning of the year, while physical reserves have also doubled since Q2… pic.twitter.com/J3nUBnE6I4
— The Kobeissi Letter (@KobeissiLetter) November 12, 2025
Un nouveau canal de contagion entre or et stablecoins ?
D’abord, il faut rappeler que l’or reste un marché profond, bien plus large que celui des stablecoins. Ainsi, si la montée en puissance de Tether n’explique pas à elle seule une hausse de plus de 50 % du cours en un an, elle peut par contre accentuer les phases d’emballement ou de correction.
Mais le fait est que la mécanique de Tether crée un lien inédit entre valeur refuge et finance spéculative. Le stablecoin USDT, adossé surtout au dollar mais aussi à l’or, est le coeur battant de la liquidité crypto. Et si jamais une crise de confiance venait à menacer, l’émetteur pourrait vendre du métal pour honorer les sorties.
À l’inverse, un krach de l’or pourrait fragiliser la solidité perçues des réserves de Tether. Certes, la part du métal jaune dans ces dernières reste actuellement limitée. Mais dans un environnement où, rappelons-le, beaucoup contestent la transparence de Tether, toute dépréciation d’un actif de réserve peut nourrir les doutes sur la stabilité d’USDT.
De plus, cette imbrication or–stablecoins survient alors que les flux vers ces jetons explosent. Entre juillet et septembre, 46 milliards de dollars ont afflué vers les stablecoins. Et la majorité d’entre eux sont des USDT, comme nous le rapportions dans cet article. Ainsi, plus le bilan de Tether grossit, plus son empreinte devient systémique.
Par conséquent, un investisseur achetant de l’or aujourd’hui ne s’offre plus seulement une protection contre les États ou les banques centrales. Indirectement, il s’expose aussi aux décisions d’un émetteur privé de stablecoins. Et si l’or reste encore et toujours rare, une part croissante de son destin est désormais liée à un acteur crypto controversé.
Enfin, pour les investisseurs crypto, ce lien or–stablecoins est un rappel utile. Car si des stablecoins comme USDT offrent une stabilité face à BTC et aux altcoins, leurs réserves se chargent d’or et de bitcoin. Ce qui à terme, brouille dangereusement la frontière entre “dollar tokenisé” et “fonds spéculatif à effet de levier”.
