Le 20 février 2025, l’Assemblée Nationale a adopté un projet de loi destiné à instaurer un impôt minimal de 2 % sur les grandes fortunes, connu sous le nom de « taxe Zucman ». Inspirée des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, cette mesure vise à réduire l’évasion fiscale et les inégalités économiques en imposant les plus grandes fortunes françaises, celles détenant un patrimoine supérieur à 100 millions d’euros, en vertu d’un impôt annuel sur la richesse.
Origine et objectifs de la « taxe Zucman »
Le projet est né des recherches de Gabriel Zucman, professeur à l’Université de Berkeley et expert en fiscalité internationale. Selon Zucman, une part significative des grandes fortunes échappe à l’impôt, en grande partie grâce à des mécanismes d’optimisation fiscale, comme les paradis fiscaux et les montages complexes. Dans ce contexte, il a proposé une taxe mondiale sur la richesse afin de combler cette lacune fiscale. En réponse aux difficultés de mise en œuvre d’une telle mesure à l’échelle internationale, Zucman a suggéré une introduction nationale de cette taxe, notamment en France, un pays traditionnellement engagé dans la lutte contre l’évasion fiscale.
La « taxe Zucman » propose donc un impôt annuel de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, ce qui concernerait environ 1 800 foyers fiscaux en France. Selon les estimations de Zucman, cette taxe pourrait générer environ 20 milliards d’euros par an pour les finances publiques. Ce montant viserait à réduire le déficit budgétaire du pays, tout en redistribuant une part de la richesse des ultra-riches vers l’Etat.
Le contexte économique et social
La mise en place de la « taxe Zucman » s’inscrit dans un contexte économique marqué par une concentration croissante de la richesse. La fortune cumulée des plus grandes fortunes françaises a atteint 1 228 milliards d’euros en 2024, avec une concentration particulièrement marquée parmi les huit premières fortunes, qui détiennent plus de la moitié de cette somme. Cette évolution a contribué à creuser les inégalités fiscales, avec des taux d’imposition effectifs très bas pour les plus grandes fortunes : les 75 foyers fiscaux les plus riches ne payent en moyenne que 0,3 % de leur richesse en impôt, tandis que les Français moyens s’acquittent d’un taux global proche de 50 %.
Le projet de « taxe Zucman » a pour objectif de corriger cette distorsion en imposant aux ultra-riches de contribuer à hauteur d’au moins 2 % de leur patrimoine annuel, à la manière d’un « impôt plancher ». L’idée est d’assurer une contribution plus équitable aux finances publiques, notamment pour compenser les déficits budgétaires croissants, estimés à 6,1 % du PIB en 2024 (un peu moins en prévision de l’année 2025).
Controverse et réactions politiques
La « taxe Zucman » a immédiatement suscité des débats houleux au sein de l’Assemblée Nationale et bien au-delà. Pour les partisans de la mesure, dont l’écologiste Eva Sas, la taxe marque une avancée importante vers plus de justice fiscale. Sas a salué le vote comme un signal fort contre « l’immunité fiscale » des milliardaires, soulignant que ceux-ci payent moins d’impôts proportionnellement que la majorité des Français.
Cependant, la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, s’est opposée fermement à la mesure, avertissant qu’elle risquait de faire fuir les capitaux à l’étranger et de nuire à l’investissement. Selon elle, cette taxe serait « confiscatoire et inefficace », précisant que le gouvernement travaille sur une autre mesure, « l’impôt minimal différentiel », qui viserait à garantir un impôt d’au moins 0,5 % du patrimoine, à l’exclusion des biens professionnels. Elle a aussi évoqué la menace d’un exode fiscal, selon laquelle les milliardaires et les capitaux pourraient quitter la France pour des juridictions plus favorables.
Toutefois, Gabriel Zucman a réfuté ces préoccupations. Dans une interview, il a souligné que de nombreux ultra-riches optimisent déjà leur fiscalité à un niveau tel que leur taux d’imposition réel est presque nul, même en cas de déménagement dans un paradis fiscal. En réalité, la perte de recettes pour l’Etat en cas de fuite à l’étranger serait minime, estimée à seulement 0,03 % du PIB. Zucman insiste sur le fait que la France est elle-même déjà devenue, par le biais de niches fiscales et d’exonérations, un « paradis fiscal pour ultra-riches ». Selon lui, la « taxe Zucman » pourrait en réalité mettre fin à cette anomalie.
Les implications économiques et sociales
Si elle était appliquée, la « taxe Zucman » pourrait avoir des conséquences significatives sur l’économie française. Selon les estimations, elle pourrait rapporter jusqu’à 20 milliards d’euros par an, ce qui constituerait une source importante de financement pour l’Etat. En période de déficit public élevé, ces recettes pourraient être utilisées pour financer des politiques sociales, comme la santé, l’éducation, ou des programmes de lutte contre la pauvreté.
En outre, le projet de la « taxe Zucman » fait écho à une tendance plus large à l’échelle internationale, avec des discussions sur la mise en place d’un impôt mondial sur les grandes fortunes. Zucman a proposé une telle taxe lors du G20, suggérant un impôt de 2 % sur les patrimoines supérieurs à un milliard de dollars. Cette initiative a suscité un large intérêt, bien que la mise en œuvre reste incertaine. Selon Zucman, l’adoption de mesures similaires au niveau national, comme en France, pourrait favoriser une convergence mondiale vers une fiscalité plus équitable, même en l’absence d’accords multilatéraux complexes.
Perspectives d’avenir
Le succès de la « taxe Zucman » en France pourrait inspirer d’autres pays à adopter des mesures similaires. Dans ses recherches, Zucman a proposé une approche progressive, où les patrimoines les plus élevés seraient soumis à des taux de taxation plus importants, permettant ainsi de réduire les inégalités économiques et de financer des projets de bien-être collectif. Il a également souligné l’importance de la transparence et de la coopération internationale pour garantir l’efficacité de ces réformes.
Cependant, la mise en place d’une telle taxe ne serait pas sans défis. Il faudrait résoudre des questions complexes liées à la déclaration et à la taxation des actifs à l’étranger, notamment dans les paradis fiscaux. Cela nécessiterait une coopération internationale accrue et une réforme en profondeur des systèmes fiscaux nationaux. De plus, les résistances politiques et l’optimisation fiscale des ultra-riches pourraient compliquer la mise en œuvre de cette taxe.
Conclusion
La « taxe Zucman » représente un tournant dans le débat sur la fiscalité des grandes fortunes et des inégalités économiques. Bien qu’elle doive faire face à des obstacles politiques et pratiques, son adoption pourrait marquer une étape importante dans la lutte contre l’évasion fiscale et les inégalités. En France, cette mesure pourrait rapporter des dizaines de milliards d’euros, contribuant ainsi à renforcer la justice fiscale et à réduire les déficits publics et la dette. Si d’autres pays suivaient l’exemple de la France, cela pourrait constituer un pas décisif vers une fiscalité plus équitable au niveau mondial.