Différences entre « aviseur fiscal » et « lanceur d’alerte » :
Le dispositif des aviseurs fiscaux ne doit pas être confondu avec le régime juridique encadrant les lanceurs d’alerte.
Le lanceur d’alerte révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi un crime, un délit ou une violation grave et manifeste d’une convention internationale, d’une loi ou d’un règlement de même qu’une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général dont il a eu personnellement connaissance.
Il bénéficie à cet effet de protections contre des représailles professionnelles (licenciement, sanctions…), contrairement à l’aviseur fiscal qui bénéficie seulement de la garantie du respect de son anonymat, et qui peut être indemnisé, selon l’importance et la pertinence des renseignements ayant concouru à la découverte d’une fraude.
Des informations contre une rémunération variable et pas très bien définie :
Nous sommes encore loin en France du système américain du « whistleblower » dans lequel tout dénonciateur ou lanceur d’alerte perçoit une récompense qui varie entre 15 % et 30 % de l’argent recouvré grâce aux informations délivrées !
A cet égard ont été publiés au Journal Officiel de la République Française, deux textes qui permettent à l’administration fiscale depuis le 24 avril 2017, d’indemniser les personnes qui lui communiquent des informations conduisant à la découverte d’un manquement à certaines règles et obligations déclaratives fiscales.
A l’instar des services de police, de gendarmerie, de la douane judiciaire et de la direction générale des douanes et droits indirects, l’administration fiscale se dote des moyens de rétribuer ses informateurs.
D’une part, le décret n° 2017-601 du 21 avril 2017, publié au Journal officiel du 23 avril 2017, autorise l’administration fiscale à indemniser les personnes qui lui communiquent des informations conduisant à la découverte d’un manquement à certaines règles et obligations déclaratives fiscales.
En application de l’article 109 de la loi de finances pour 2017, n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, le Gouvernement peut autoriser l’administration fiscale à indemniser les personnes étrangères aux administrations publiques qui lui fournissent des renseignements ayant conduit à la découverte d’un manquement aux règles fixées à l’article 4 B, à l’article 39 2 bis, aux articles 57, 123 bis, 155 A, 209, 209 B ou 238 A du code général des impôts ou d’un manquement aux obligations déclaratives prévues à l’article 1649 A 2ème alinéa, et aux articles 1649 AA et AB du même code.
Le dispositif général a été pérennisé en 2018, à l’article 21 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018.
L’article 175 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 a codifié en 2019 le dispositif des aviseurs fiscaux à l’article L. 10-0 AC du livre de procédures fiscales.
Abrogeant le décret n° 2017-601, le décret n° 2021-61 du 25 janvier 2021 a étendu le dispositif aux manquements aux dispositions régissant la TVA. De plus, le Gouvernement peut autoriser l’administration fiscale à expérimenter un périmètre différent, défini par la gravité de certains agissements, manquements ou manœuvres en infraction avec la législation fiscale, lorsque le montant estimé des droits éludés est supérieur à 100 000 euros.
L’article 144 de la loi de finances pour 2022 prévoit la prolongation de cette expérimentation de deux ans, soit jusqu’au 31 décembre 2023.
Un arrêté du 21 avril 2017 prévoit que la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) conserve, de façon confidentielle, les pièces permettant d’établir l’identité de l’aviseur, la date, le montant et les modalités de versement de l’indemnité.
La décision d’attribution de l’indemnité doit être prise après examen par la DNEF du rôle de l’aviseur et de l’intérêt fiscal, pour l’État, des informations transmises.
Aucun barème ne fixe son montant qui est fonction des montants estimés des impôts éludés, mais la rémunération de l’aviseur fiscal peut aller jusqu’à 15% du montant des droits recouvrés grâce à ses renseignements, surtout lorsque les faits révélés sont graves.
Des modalités assez libres :
toute personne ayant connaissance de faits entrant dans le champ des informations communicables et susceptibles d’un intérêt fiscal, telles que définies ci-avant, doit adresser spontanément et non anonymement à l’administration fiscale ces informations.
Cette dernière fera vérifier par les agents de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF), préalablement à toute décision d’attribution d’une indemnité, la validité de l’intérêt fiscal pour l’Etat des informations communiquées et le rôle précis de l’informateur, seules étant retenues les informations portant sur des faits graves et décrits très précisément. Ces informations doivent en outre être susceptibles de justifier un début d’enquête permettant de les corroborer et de vérifier la véracité des faits allégués, pour identifier le ou les procédé(s) de fraude ainsi que les enjeux fiscaux.
Une affaire de « spécialistes », qui par nature n’en sont pas, et qui soulève tout de même des problèmes de « compétences fiscales » !
En effet, les textes qui ont défini les contours du champ d’informations susceptibles d’intérêt pour le fisc vise une série d’articles du Code général des impôts, par nature inconnus des « personnes étrangères aux administrations publiques ». Hormis les autres praticiens du droit fiscal (professeurs de droit ; avocats-fiscalistes ; experts-comptables), que l’on « imagine » mal en délateurs, en « aviseurs » du fisc, les articles cités sont non seulement inconnus du grand public, mais ils sont délicats à comprendre et à manier, parfois complexes, l’erreur d’appréciation étant très facile dans ce domaine.
En conséquence, soit l’administration fiscale reçoit des signalements totalement hors du champ d’application des articles précités du code général des impôts (CGI), soit ils se trouvent parfois dans ce champ, mais mal compris et signalés à tort par suite d’une mauvaise interprétation, à la fois de la situation rencontrée, et des règles d’application des articles en question, par des citoyens ayant cru en toute bonne foi avoir constaté une situation fiscalement anormale, ou soit encore, les faits signalés sont pertinents mais … déjà connus des services fiscaux !
Des articles comme le 4 B du CGI, qui demande du discernement et des notions approfondies sur la notion de domiciliation fiscale, ou comme le 57 du même code, qui suppose des connaissances poussées sur les prix de transfert, et qui implique même que la source du renseignement se trouve au sein de l’entreprise qu’il désigne (avec les risques que cela suppose pour l’employé délateur), ou bien encore le 238 A dudit code sur les pays à fiscalité privilégiée, qui nécessite de savoir de quoi on parle, par exemple, sans parler de la complexité des articles 209 et 209 B du code précité, font que l’administration fiscale ne peut guère recevoir, à ce compte-là, d’informations vraiment utiles pour elle, tant il est illusoire de penser que la « littérature » du code général des impôts et celle qui l’accompagne, sur la jurisprudence des juridictions visées par l’application de notre fiscalité, constitue la « lecture de chevet préférée » de la plupart de nos concitoyens ! Par conséquent, en-dehors de quelques praticiens et spécialistes professionnels du droit fiscal, dont ce n’est pas le « job », il est difficile de croire en la pérennité d’un tel processus !
Une rétribution décidée au « cas par cas :
C’est un arrêté du 21 avril 2017, publié Journal officiel, qui en précise les modalités de rétribution.
La décision d’attribution d’une ‘indemnité est prise par le directeur général des finances publiques, qui en fixe le montant, sur proposition du directeur de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF), par référence aux montants estimés des impôts éludés.
Les fonds sont mis à disposition par le comptable public désigné par le Ministre du Budget. La direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) conserve confidentiellement les documents sur l’identité de l’informateur, la date, le montant et les modalités de versement de l’indemnité.
Un certain succès, oui, mais tout de même en demi-teinte :
les services de la DGFiP ne communiquent pas sur des statistiques postérieures à 2021, mais tous les signalements qui ont été faits pas les « aviseurs » n’aboutissent pas obligatoirement à une investigation de la part du Fisc, loin s’en faut ! Ainsi, sur 237 signalements effectués entre 2017 et 2021, la moitié ont été classés sans suite, ce qui accrédite le fait du « manque de compétences fiscales » de la plupart des « aviseurs », mais également le fait que les renseignements fournis étaient trop imprécis ou anciens (à hauteur de 58%), ou qu’ils étaient déjà connus des services (29%), ou parce qu’ils étaient simplement « hors du champ de la loi », par exemple si les sommes en jeu étaient inférieures à 100 000 euros !
Cela ne retire pas néanmoins une certaine efficacité et rentabilité au processus, puisqu’au 1er septembre 2021, le montant des droits et des pénalités recouvrés grâce aux « aviseurs fiscaux » était de plus de 110 millions d’euros (mais 90% de ce montant correspond à une seule affaire, la première), contre une indemnisation des « aviseurs » globalement d’un peu moins de 2 millions d’euros ! Dans la même période (2017 – 2021) 24 contrôles fiscaux ont eu pour origine un renseignement fourni par un « aviseur », et 6 d’entre eux avaient été indemnisés fin 2021 (pour un million d’euros environ).
En guise de conclusion :
On le voit bien : « aviseur fiscal » est un exercice difficile, qui suppose non seulement de solides connaissances fiscales, mais aussi un bon ciblage des observations faites et des questions posées, très précis, et qui n’incite guère justement à le pratiquer, compte tenu de la complexité du processus de révélation du « bon » renseignement pour l’administration fiscale, des lourdeurs administratives liées aux vérifications nécessaires ensuite, aux estimations de l’indemnisation et à leur bon versement !
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