En général, l’administration fiscale supporte la « charge de la preuve » de ce qu’elle avance, lorsqu’elle entend remettre en cause un régime fiscal, une déduction, un crédit d’impôt, etc, tout dépendant de la procédure suivie. Si c’est vrai en procédure contradictoire (articles L 55 à L 61 du Livre des Procédures Fiscales), ça l’est moins voire plus du tout dans d’autres situations où, au contraire, c’est au contribuable qui conteste l’imposition rectifiée d’apporter la « preuve » de son caractère « exagéré ».
En outre, dans certains cas de reprise, par l’administration fiscale, d’avantages fiscaux (réductions d’impôts ; crédits d’impôts), elle peut considérer qu’elle apporte la preuve du bien-fondé des rectifications qu’elle se propose d’apporter aux revenus des contribuables contrôlés, simplement en ne citant que les textes règlementaires et jurisprudences fondant le ou les rehaussements, et en faisant simplement référence à un droit de communication formé auprès d’une administration tierce (p.e. Douanes) ayant conduit à un questionnement sur un fichier (p.e . celui des déclarations d’importations de marchandises sur le territoire français) et à une réponse dudit service tiers, négative et ne résultant en fait que d’une simple consultation de bases de données dont l’issue peut s’avérer effectivement négative, si au départ, la question qui lui a été posée a été mal formulée, ou établie à un mauvais nom par exemple ! Considérant alors qu’elle a apporté la preuve qui lui incombait (des faits), l’administration fiscale est quasiment toujours soutenue en cela par les juridictions administratives.
C’est là où le bas blesse, car le contribuable, comme c’est très souvent le cas en matière fiscale, ne dispose alors ni des connaissances ni des moyens techniques et juridiques nécessaires pour pouvoir apporter efficacement cette preuve qui, du coup, lui est renvoyée (renversement de la charge de la preuve) !
Quelques exemples de « preuve impossible » :
cession d’un immeuble :
pour contrôler une plus-value de cession immobilière, ou encore une déclaration de succession, ou pour s’assurer de la validité d’une déclaration à l’IFI et qu’il n’y ait pas « sous-évaluation » d’un bien immobilier, les services de la DGFIP peuvent procéder eux-mêmes à des calculs d’évaluations de valeurs vénales de tels biens, à partir d’applications de type « Patrim », cette application que la DGFIP a mise à la disposition du grand public et des professionnels, pour les aider dans leurs propres calculs d’évaluation de valeurs vénales, mais qui précise que de telles évaluations provenant de cet outil, « Patrim », qui n’est là que pour aider sans plus, ne sauraient pouvoir être opposables à l’administration fiscale qui peut toujours les refuser !
De quoi s’agit-il ? Cela consiste à repérer au plus près du bien vendu, des mutations (cessions) si possible les plus récentes possibles, et dont les caractéristiques physiques se rapprochent le plus possible de celles du bien vendu, voire similaires (le cas idéal). Ensuite, l’opération consiste à établir plusieurs de ces comparaisons, d’en déterminer un « prix du marché » (à la vente) au M², puis de déterminer pour finir un « prix moyen au M² » des trois ou quatre « éléments de comparaison représentatifs retenus », et enfin d’appliquer ce prix moyen au M² au bien vendu. Encore reste-t-il possible d’appliquer au résultat une ou plusieurs « décotes », en fonction de divers facteurs influençant le « prix du marché » pour ce bien et aisément prouvables.
Mais là où le bas blesse encore, c’est si l’administration fiscale malgré cela refuse les termes de comparaison retenus pour y opposer les siens propres, que peut alors faire le contribuable ? Faut-il alors que, s’agissant par exemple d’une déclaration d’IFI, ce dernier aille jusqu’à faire croire qu’il met en vente son bien, fasse passer des annonces par une agence immobilière, obtienne ainsi trois (ou plus) évaluations différentes de la valeur vénale et surtout, reçoive de la part d’un potentiel « acquéreur » une « offre » ferme ( on admettra que l’opération serait scabreuse, voire impossible dans la réalité) , pour que l’administration fiscale retienne comme « valable » le prix mentionné dans cette « offre », quitte ensuite pour le contribuable à ne « pas donner suite (vraiment « scabreux »), ne rien signer et retirer son bien de l’agence immobilière » ? Lui faudrait-il aller jusque- là, pour que l’administration fiscale renonce alors à remettre en cause la valeur du bien telle qu’estimée par lui ? … Et pourtant….
Réduction d’impôt « Girardin » (art. 199 undecies B du CGI)
Surtout pour certains investissements dans le Girardin industriel, en énergie propre, et depuis l’évolution législative et de la doctrine applicable à certaines réductions d’impôts « Girardin », l’administration fiscale se base souvent, lorsque la « charge de la preuve » incombe au bénéficiaire de la réduction d’impôt, à l’investisseur, sur le fait que ce dernier n’apporte pas la preuve que telle ou telle « société d’exploitation » normalement chargée dans le schéma d’investissement, de mettre en « exploitation » l’installation faisant l’objet de ladite réduction d’impôt, qu’elle n’a en fait jamais réellement exploité ledit investissement !
C’est là où se fait sentir l’inégalité entre le contribuable-investisseur, et l’administration : en effet, si elle consentait à faire son travail jusqu’au bout, l’administration fiscale possèderait tous les moyens juridiques et techniques pour vérifier ces faits : vérification sur place ; vérification de comptabilité desdites sociétés d’exploitation ; « avis de passage » suivis de visites sur place afin de s’assurer de la réalité de certains points précis, etc, mais aucun texte ne l’obligeant à le faire, la « charge de la preuve » est souvent renvoyée au contribuable et lui incombe alors. Or, au contraire des services fiscaux, le contribuable-investisseur, qui se trouve à la fois en début puis en fin de « chaîne » de son investissement à l’origine de la réduction d’impôt, n’est tenu informé de rien, ou quasiment rien, et en tout état de cause, ne dispose d’aucun des moyens juridiques et techniques d’investigations et de questionnements qu’a l’administration fiscale, afin de pouvoir répondre à la question de savoir si telle ou telle société d’exploitation a bien « exploité » le bien investi, si elle a généré des « produits » et dans l’affirmative, combien, depuis quelle date, et si elle a bien déposé ses déclarations comptables et fiscales de résultats !
Normalité des taux d’intérêts pratiqués dans des opérations de financement intragroupe :
le Tribunal administratif de Paris, dans un jugement du 18 janvier 2018 (n° 1707553/1-2) a décidé qu’un contribuable n’apportait pas la preuve de la conformité d’un taux d’intérêt appliqué au titre d’une opération de financement intragroupe, dès lors qu’il lui avait été impossible de justifier la normalité du taux appliqué en l’espèce, 10%, par la « production d’une offre effective de crédit » !
Pourtant, la société vérifiée et redressée pour ce fait, avait pris la précaution de se faire délivrer avant l’opération en cause :
- Une offre bancaire de prêt qui faisait état d’un taux de 12% ;
- Une analyse indépendante mentionnant sur la période vérifiée concernée, des offres à des taux d’intérêts variant entre plus de 8% et Plus e 11% ;
- Une seconde attestation bancaire différente de la première et indiquant, pour le même type d’opération, une « fourchette » de taux située entre 10 et 12% ;
- Un « état comparatif bancaire » à l’échelle européenne, pour un financement équivalent aux obligations émises, avec un taux supérieur à 10%.
Une vue « restrictive » de l’administration fiscale, validée par le juge de l’impôt
Pour autant, la loi visant à limiter la déductibilité des charges financières dans les opérations de financements intragroupe fait généralement référence au respect du « taux de marché », soit le taux que la société emprunteuse aurait pu obtenir auprès d’un tiers. Mais l’administration fiscale va plus loin, en exigeant que le taux d’intérêt pratiqué soit conforme à celui d’une « offre effective », c’est-à-dire d’une offre ferme correspondant de manière certaine aux conditions qu’aurait pu obtenir la société auprès de prêteurs tiers.
Par son jugement, le tribunal administratif de Paris a validé la position de l’administration fiscale, en écartant les pièces produites par la société vérifiée du seul fait qu’elle n’avait pas produit une « offre effective de crédit » attestant d’un taux de 10 % !
Dura Lex, sed Lex diront certains. Peut-être ; pourtant ces quelques exemples illustrent bien des situations (parmi d’autres), piégeant totalement les contribuables, en les mettant en position d’impossibilité de se justifier et d’apporter quelque preuve que ce soit face à l’administration fiscale !
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