Normalement, aucun contribuable n’est contraint de tirer de la gestion d’un bien ou d’une entreprise, le profit le plus élevé qui soit, et en principe l’exploitant est « seul juge de l’opportunité de sa gestion » : l’administration fiscale ne peut donc pas se substituer à lui pour décider des choix qui auraient été les meilleurs pour son entreprise.
Ceci c’est « en principe ». Comme « tout principe », celui-ci comporte des exceptions, qui échappent à la « règle » !
Ainsi « l’immixtion » de l’administration fiscale dans la gestion des entreprises est reconnue possible par la jurisprudence, lorsqu’elle considère que certains actes (de gestion) constituent des « actes anormaux de gestion ».
Il en est ainsi quand une entreprise renonce à percevoir des recettes, comme l’a confirmé la Cour administrative d’appel (CAA) de Marseille du 31 décembre 2019, n°18MA04580.
Notion « d’acte anormal de gestion »
Il s’agit d’un « acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt » (en ce sens : Conseil d’Etat, requête n° 402206 du 21 décembre 2018).
Il peut en être ainsi de sommes facturées à l’entreprise pour des prestations fictives ( Conseil d’Etat du 2 mars 1988, n° 45625 et 71877), de dépenses supportées par l’entreprise dans l’intérêt des dirigeants (Conseil d’Etat du 11 décembre 1992, n° 71147), abandons de créances entre entreprises, quand leurs montants sont excessifs eu égard au faible niveau de relations commerciales entre ces entreprises (en ce sens : Conseil d’Etat, 1er février 1995, n° 162066), sauf si l’entreprise justifie qu’en ayant agi ainsi, elle a agi dans son propre intérêt.
« charge de la preuve » et conséquences fiscales
C’est à l’administration qu’il incombe d’apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu’une « renonciation à recettes » ou un « abandon de créances » consenti par une entreprise à un tiers constitue un « acte anormal de gestion », sauf lorsque l’entreprise concernée se trouve en situation d’imposition d’office.
Quel que soit le cas de figure, l’entreprise vérifiée peut apporter la preuve contraire en justifiant qu’elle a bénéficié en retour de contreparties normales et suffisantes.
Les articles 38 et 209 du code général des impôts définissent le bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés (IS) comme étant celui qui provient des opérations de toute nature effectuées par l’entreprise, à l’exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une « gestion commerciale normale ».
En pareille situation, l’administration fiscale est en droit de qualifier ces opérations « d’acte anormal de gestion » et de réintégrer au résultat imposable à l’impôt sur les sociétés, les recettes et les dépenses ne correspondant pas à une « gestion commerciale normale ».
Confirmation par l’arrêt de la CAA de Marseille
Une société de droit suisse disposant d’une luxueuse villa en France sur la Côte d’Azur, avait mis ladite villa à la disposition du dirigeant, citoyen britannique, durant deux ans, sans percevoir le moindre loyer.
Vérifiée sur ces deux mêmes années, la société helvétique s’était vue réintégrer à ses revenus imposables en France les recettes omises, calculées de manière « empirique » c’est-à-dire « par appréciation directe » par les Impôts, en appliquant un « taux de rendement » de 5% à la « valeur vénale » de l’immeuble concerné, puis en retranchant de ces « recettes » censées représenter les loyers jamais réclamés, des charges, non comptabilisées, qualifiant le tout « d’acte anormal de gestion », et réintégrant aux bénéfices imposables des deux années vérifiées, ces bénéfices non-déclarés, contrairement à l’intérêt direct de l’entreprise.
Cette dernière avait déposé une réclamation contre ces impositions supplémentaires qui, rejetée, avait fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. La société avait fait valoir que la villa en France était dégradée au cours des années en cause, qu’elle avait même confié à une société tierce le soin d’en faire effectuer les travaux de restauration puis de la vendre, ajoutant qu’au demeurant, le dirigeant ne l’avait occupée que « ponctuellement » pendant l’exercice de ses fonctions.
Le tribunal administratif n’ayant pas admis les justifications de la société de droit helvétique, cette dernière s’était pourvue en appel de la « décision de rejet », devant la Cour administrative d’appel de Marseille.
Devant cette dernière, l’administration fiscale a fait valoir que le dirigeant et son épouse avaient occupé la villa, qu’ils en avaient acquitté la taxe d’habitation au titre des deux mêmes années, et que des factures de dépenses régulières d’eau et d’électricité avaient été constatées concernant ces deux mêmes années, sans qu’aucune déclaration de travaux ne vienne expliquer ces faits.
La CAA de Marseille a estimé que dans la mesure où la société vérifiée n’apportait aucun élément ni aucune pièce justificative permettant de démontrer qu’un tel avantage octroyé à son dirigeant aurait présenté une quelconque contrepartie pour l’intérêt de son exploitation, l’administration a pu, à bon droit, retenir qu’une telle « renonciation à recettes » traduisait un « acte anormal de gestion », « établissant , ainsi qu’il lui incombe, qu’en renonçant à percevoir les loyers correspondants auprès des occupants concernés, au cours des deux exercices en litige, la société leur avait consenti un avantage anormal. »