La France aurait-elle mauvaise conscience ? Le Fonds Stratégique d’Investissement, émanation de la Caisse des Dépôts créée récemment pour prendre des positions dans des entreprises françaises emblématiques, pourrait investir dans la branche Produits Usinés (« Engineered Products ») d’Alcan, mise en vente par sa maison mère Rio Tinto dans le cadre de son plan de désendettement. Selon les informations obtenues par ‘Les Echos’, le FSI pourrait prendre 10% du capital de l’entité dans le cadre de son rachat possible par le fonds américain Apollo, lequel serait déjà en négociations exclusives avec le vendeur.
Alcan Engineered Products, dont le siège est à Paris, est le second fournisseur mondial de pièces en aluminium pour l’industrie aéronautique, mais aussi le premier fournisseur européen de tôle à canettes, de grands profilés pour le transport et un leader mondial dans plusieurs spécialités, dont les composites ou les câbles aluminium. L’entreprise emploie plus de 10.000 personnes dont une moitié en France. Surtout, la branche Produits Usinés a été édifiée par Alcan avec de nombreux actifs de l’ancien Péchiney, le groupe que la France a laissé filer entre les mains du canadien en 2003, avant qu’il ne soit lui-même racheté par le géant minier Rio Tinto par la suite.
Une entrée au capital du FSI constituerait une forme d’absolution pour ce que le quotidien ‘Les Echos’ appelle ce matin le « traumatisme » de la vente de Péchiney voilà plus de 5 ans. L’opération a laissé un goût amer dans la bouche de beaucoup d’industriels, alors que l’entreprise a été croquée par son dauphin dans le cadre d’une OPA contre laquelle les pouvoirs publics n’avaient pas réagi, alors que certaines activités sensibles du groupe français, dans la défense et l’aéronautique, auraient mérité, de l’avis de nombreux spécialistes, davantage de considération. L’ironie du sort veut que les deux entreprises avaient négocié en 2000 un mariage à trois avec le suisse Algroup, opération bloquée par l’antitrust européen qui 3 ans plus tard valida une opération identique, au bénéfice d’Alcan cette fois, moyennant quelques concessions. Plus récemment, le rachat d’Arcelor par Mittal a d’ailleurs suscité des critiques identiques sur la politique industrielle française, d’autant que les conséquences sociales des deux opérations se sont finalement révélées très lourdes.
Cette fois, l’Etat pourrait faire jouer son droit de veto dans le cadre de la cession, selon le journal financier. Le Ministère de la Défense peut en effet s’opposer à l’opération car Alcan Produits Usinés fournit toujours les pièces nécessaires au jet de combat « Rafale » ou à la flotte de sous-marins nucléaires français. Il aurait exigé en contrepartie de son sésame le maintien en France des centres de recherche et de certaines compétences clefs. La présence du FSI au capital, certes en position minoritaire, permettrait de renforcer les garanties requises et d’exercer une surveillance sur l’évolution de la branche.