L’événement n’est pas banal… Pour une fois, Warren Buffett, pourfendeur des excès du capitalisme sauvage, s’est retrouvé à son tour sur le gril, hier à New York, face à la Commission d’enquête sur la crise financière… Le célèbre investisseur américain avait bien essayé de refuser « l’invitation », mais la Commission a émis une assignation pour l’obliger à comparaître, en sa qualité d’actionnaire important de Moody’s, l’une des principales agences de notation. Rappelons que le groupe de Buffett, Berkshire Hathaway, détient 13% du capital de Moody’s et en possédait encore 20% il y a un an…
Interrogé sur le rôle des agences dans la formation de la bulle des crédits « subprimes », Warren Buffet s’est montré moins critique que prévu, en estimant que les agences avaient « fait des erreurs, mais qu’elles avaient fait les mêmes erreurs que tout le monde ! ». Le « Sage d’Omaha » a admis que lui aussi s’était trompé en n’anticipant pas cette crise, liée à l’implosion du marché des crédits immobiliers à risque. Il a néanmoins estimé que les agences avaient tardé à réagir lorsque les emprunteurs « subprime » avaient commencé à faire défaut. « Elles auraient dû découper leur ‘business model’ à la hache dès qu’il a été clair que la ‘mère de toutes les bulles’ allait éclater », a-t-il déploré.
De leur côté, d’anciens salariés de Moody’s ont été plus sévères que Warren Buffett… Trois d’entre eux, interrogés hier par la Commission, ont laissé entendre que leur hiérarchie recourait à l’intimidation. Ainsi, dans la période précédant la crise, les analystes vivaient dans la crainte de contrarier les banques d’investissement souhaitant faire noter leurs produits dérivés de crédit. La concurrence était si forte entre agences de notation pour profiter de ce marché en ébullition, que les salariés étaient incités à être moins regardants sur le contenu des produits, ont expliqué ces témoins.
Entendu lui aussi, le patron de Moody’s, Raymond McDaniel, a démenti leurs propos, en estimant que les agences n’étaient pas des « sentinelles » et que le marché des produits structurés se serait développé même sans elles. Les agences « ne peuvent pas empêcher l’émission ou l’achat de certains produits (…) Les marchés peuvent croître sans les notes, et ils le font ! ».
Jusqu’à la mi 2007, les créances immobilières, découpées en lots et réparties au sein de produits structurés par les grandes banques, ont été vendues avec beaucoup de zèle aux investisseurs. Elles avaient pour la plupart obtenu la meilleure note, le « Triple A » auprès des agences de notation. Ce qui a fait dire hier au président de la Commission d’enquête qu’elles étaient devenues des « usines à Triple A » !
Ces « Triple A » se sont transformés rapidement en « junk bonds » lorsque les emprunteurs immobiliers ont commencé à faire défaut, dès le début 2007. La suite est connue : l’effondrement du château de cartes, en 2008, a provoqué la plus grave crise financière et économique depuis la deuxième guerre mondiale…