Le ministre de l’Action et des comptes publics français, Gabriel Attal, a annoncé sur France Inter et dans un tweet, la création d’un nouveau service de renseignements à Bercy, dispositif prévu dans le plan annoncé pour lutter plus efficacement contre la fraude fiscale. Ainsi a-t-il posté : « on va créer un service de renseignement fiscal à Bercy avec des agents de renseignement qui vont pouvoir aller recruter des sources humaines dans des institutions financières, dans des banques et les rémunérer contre des informations dans des États pour lesquels on n’a aucune information, aucune transparence ».
Pour quels enjeux ?
Bien que difficilement chiffrable par nature – l’ampleur de la fraude fiscale étant telle – beaucoup la considèrent au moins équivalente à ce que rapporte annuellement au budget de l’Etat la TVA c’est-à-dire 102 milliards d’euros, des organisations syndicales la chiffrant par ailleurs entre 80 et 100 milliards d’euros. Les moyens de frauder le Fisc étant de plus en plus sophistiqués, et beaucoup d’Etats ne jouant pas le jeu de la transparence fiscale, c’est probablement un montant colossal correspondant à des activités jamais déclarées qui sont à récupérer et à imposer en France.
Avec des moyens suffisants ?
Le ministre parle d’une centaine « d’agents d’élite » (à créer et former) pour enquêter dans les « états non coopératifs », comme le Panama ou les Bahamas. Mais dans le même temps, Gabriel Attal promet la création de 1 500 effectifs supplémentaires dans les quatre ans à venir.
Nécessaire formation spécialisée
Ce ne sont pas les agents actuellement en poste en contrôles fiscaux qui pourront mener à bien ces « missions spéciales », car selon le ministre, ceux-ci devront pouvoir procéder à des « écoutes », « capter des données (data), ou avoir recours à des indics rémunérés. Vont donc se poser les questions de leur statut juridique, et de leur formation ! Une ancienne tentative sous la présidence sarkozienne visant à créer des brigades de vérificateurs du Fisc dotées de la qualité d’officiers de police judiciaire ayant le pouvoir de perquisitionner en présence d’un juge et de mener des investigations plus approfondies avait avorté. De plus, la « mission » annoncée par le ministre ayant des contours flous, personne ne peut dire à l’heure actuelle quelle pourra être la nature de la formation spéciale dispensée à ces « élites », ni par qui elle le sera ! Il serait surprenant (et décevant) que la désignation des futurs formateurs soit prise en « interne » : personne aujourd’hui au sein de l’administration fiscale n’a la moindre idée des pratiques et techniques sophistiquées utilisées par ces Etats non-coopératifs, et pour cause ! On supposera donc une formation assurée par des services extérieurs, mais lesquels ? …
Nécessaire niveau de recrutement
Il est peu probable que la centaine « d’agents d’élite » qu’évoque le ministre soit recrutée au niveau « cadres B » de la Fonction publique d’Etat, surtout si ces agents doivent être dotés de capacités juridiques (OPJ par exemple) supplémentaires. Dans ce cas, il serait sans doute vraisemblable que les quelques 100 « agents d’élite » soient recrutés au niveau des « cadres A » de cette même Fonction publique. Il est permis alors de penser que les quelques 1 400 à 1 500 agents spécialisés auxquels Gabriel Attal pense jusqu’à fin 2027 pourraient venir en appui technique et tactique aux 100 « agents d’élite », et qu’ils seraient donc recrutés au niveau des « cadres B ».
Un budget de fonctionnement conséquent
Dans la configuration envisagée par hypothèse ci-avant, le recrutement de ces 1 500 nouveaux agents coûtera au Budget de l’Etat plus de 51 millions d’euros par an, et ce, si le dispositif s’avère « payant », tous les ans (Il est vrai que les contrôles fiscaux ont rapporté l’an dernier à l’Etat 14 milliards d’euros !). Pour autant, ce nombre (1 500 nouveaux agents) est d’ores et déjà jugé ridicule par les centrales syndicales et en particulier par la CGT-Finances Publiques qui l’a déjà comparé aux 15 000 emplois qui ont été supprimés à la DGFIP (Direction générale des Finances Publiques) durant ces dix dernières années !
Pour une efficacité réellement éprouvée contre tous les types de fraudes fiscales ?
Vouloir lutter efficacement contre la fraude fiscale, c’est un peu comme vouloir lutter efficacement contre certains virus particulièrement virulents et mutants : le fléau existe, mais on ne le voit pas, et puis, il est malléable, il se transforme, se transporte, change de formes, mute continuellement ; il possède ses variants !
Vouloir éradiquer toutes les fraudes fiscales est aussi illusoire que de vouloir par exemple arrêter tous les ateliers clandestins de fabrication de drogues dans le Monde ! Pareillement, le fléau existe, mais ne se voit pas en tout cas pour ce qui est de leur fabrication ; ces ateliers se font, se défont, se reforment, déménagent ; les drogues n’empruntent jamais le même mode de transport, et elles transitent parfois par plusieurs pays avant de revenir inonder par exemple l’Europe ; de plus les drogues elles ne sont jamais les mêmes et de nouvelles substances chimiques ne cessent d’apparaître, de nouveaux « cocktails détonants » aussi.
Il en est tout autant de la fiscalité, et des moyens d’y échapper comme des moyens de suroptimiser (illégalement) l’impôt ! Les « paradis fiscaux », il s’en créée tous les jours de nouveaux, tandis que d’anciens « rentrent dans le rang » en acceptant une collaboration réciproque fiscale entre Etats et en signant un accord en ce sens, établi sur un modèle OCDE. Mieux vaudrait sans doute se pencher sur les véritables « raisons de frauder » : trop d’impôt tue l’impôt (maxime de Laffer) ; refus du « consentement à l’impôt » ; etc …
Davantage contrôler les plus gros patrimoines et les 100 premières grandes entreprises du CAC 40 (multinationales).
Le ministre a annoncé vouloir augmenter de 25 % les contrôles fiscaux des plus gros patrimoines d’ici la fin du quinquennat et contrôler « tous les deux ans » les cent plus grandes entreprises cotées en bourse.
Des contrôles assortis de sanctions fiscales particulières
A l’état de simples réflexions pour le moment, le Gouvernement songe à assortir ce nouveau dispositif de traque au renseignement visant la fraude fiscale « à grande échelle », de nouvelles sanctions qui pourraient comprendre une « sanction d’indignité fiscale et civique », sous la forme d’une privation de réduction ou crédit d’impôt par exemple, ainsi que de suspension du droit de vote « pendant une certaine durée » dans les cas de fraudes les plus graves.
Vers un rééquilibrage de la pression fiscale en France ?
Imposer davantage les gros fraudeurs et les multinationales qui suroptimisent leurs impôts, cela reviendra corrélativement pour le ministre concerné à alléger la pression sur les petits contribuables, les petits patrons, en privilégiant les régularisations aux contrôles souvent mal vécus, et en instaurant une remise automatique de pénalité pour la première erreur relevée.