Les majorations fiscales de 40% et 80% des droits dus après vérification fiscale, doivent-elles être estimées à proportion des omissions ou inexactitudes commises par le contribuable, liées à d’autres sanctions pénales le concernant, ou à son mauvais comportement durant le contrôle ?
Le contrôle de l’impôt est assorti de sanctions. En la matière, on distingue essentiellement deux sortes de sanctions :
- les sanctions pénales, qui conduisent à des peines correctionnelles et relèvent des tribunaux de l’ordre judiciaire, pour des faits particulièrement graves (fraude fiscale par exemple) ;
- les sanctions fiscales répressives, qui viennent grever les rappels de droits éludés, lorsque la bonne foi du contribuable n’est pas retenue (on parle alors de « manquements délibérés ») ou lorsque l’administration considère que les rehaussements sont la conséquence de « manœuvres frauduleuses », ou pire, « d’abus de droit ». Ces sanctions fiscales « répressives » possèdent le caractère de véritable punition.
Les pouvoirs du juge sur les sanctions fiscales :
On rappelle que, s’appuyant sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif aux droits de la défense, un juge a le pouvoir de se prononcer sur le principe et sur le montant de toute sanction ayant le caractère d’une punition (en ce sens, Cour de Cassation, com. du 22/02/2000 n° 97-17.822, RJF 5/2000 n° 737).
Cependant ni le Conseil d’Etat, ni la Cour européenne des Droits de l’Homme, ne reconnaissent au juge le pouvoir de se prononcer sur une quelconque modération de la sanction (en ce sens : C.E. requête n° 195 664, 8/07/1998 ; C.E.D.H., affaire n° 68/1997/852/1059 du 23/09/1998, RJF 11/1998 n° 1384).
Quelles sont ces sanctions fiscales ?
Selon les dispositions de l’article 1729 du Code général des impôts (CGI), « les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’Etat entraînent l’application d’une majoration de :
– 40 % en cas de « manquement délibéré » ;
– 80 % en cas « d’abus de droit » au sens de l’article L 64 du Livre des Procédures Fiscales ; elle est ramenée à 40 % lorsqu’il n’est pas établi que le contribuable a eu l’initiative principale du ou des actes constitutifs de l’abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire ;
– 80 % en cas de « manœuvres frauduleuses » ou de dissimulation d’une partie du prix stipulé dans un contrat ou en cas d’application de l’article 792 bis ».
S’agissant de la charge de la preuve, la loi opère un retournement de celle-ci, l’attribuant à l’administration fiscale, sur le principe que les omissions ou inexactitudes que peuvent commettre les contribuables dans leur déclaration ne peuvent être que présumées involontaires. Il incombe donc, dans le cas où il est fait application des pénalités visées à l’article 1729 du même Code, aux services fiscaux d’établir le caractère délibéré de l’omission ou de l’inexactitude ( article L 195 A du Livre des Procédures fiscales, LPF), l’administration fiscale précisant que, « s’agissant de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, il appartient au service de réunir tous éléments d’information ou d’appréciation utiles en vue d’établir que le contribuable ne pouvait pas ignorer les insuffisances, inexactitudes ou omissions qui lui sont reprochées et que l’infraction a donc été commise sciemment ». Il en est de même pour un « abus de droit », ou pour des « manœuvres frauduleuses », « le caractère délibéré du manquement résultant de l’ensemble des éléments de fait de nature à établir que les erreurs, inexactitudes ou omissions commises par le contribuable n’ont pu l’être de bonne foi. Il s’apprécie donc en fonction des circonstances propres à chaque affaire ».
Chaque fois que les services fiscaux démontrent que l’intéressé a nécessairement eu connaissance des faits ou des situations qui motivent les rehaussements, le « manquement délibéré » est suffisamment établi, puisqu’il y a eu l’accomplissement conscient d’une infraction. Pour les « manœuvres frauduleuses », elles sont établies dès lors qu’elles résultent d’actes conscients et volontaires destinés à donner l’apparence de la sincérité à des déclarations en réalité inexactes de leurs auteurs et impliquant l’intention d’éluder tout ou partie de l’impôt.
Les positionnements du Conseil d’Etat
Par rapport au « quantum fraudé ou dissimulé » :
Alors que la Haute Assemblée, dans ses considérants et arrêts, sur la question de l’ex- « mauvaise foi » appelée désormais « manquement délibéré », n’avait jamais établi de « chiffrage » ni déterminé de « montant de droits » à ne pas franchir, se limitant à rappeler que le fait d’éluder sciemment l’impôt valait à son auteur les sanctions ad hoc, dans un arrêt du 15 octobre 2015 (requête n° 367 426), statuant sur l’application des pénalités visées à l’article 1729 du CGI, le Conseil d’Etat a jugé qu’en omettant de déclarer 60% de ses recettes fiscales, une société ne pouvait ignorer qu’elle avait méconnu son obligation de comptabiliser toutes ses recettes, et qu’elle avait encouru, à juste titre, l’application des majorations de 40% pour « manquements délibérés ».
Par rapport à la dualité de sanctions : pénales et fiscales :
Selon une décision du Conseil d’État, les constatations de fait qui sont le support nécessaire d’un jugement définitif rendu par le juge pénal s’imposent au juge de l’impôt (en ce sens : Conseil d’Etat, 7 / 9 SSR, 24/11/1986, 49853, recueil Lebon).
Cette position de la Haute Assemblée a été confirmée dans un arrêt du 23 juin 2022. La pénalité pour manquement délibéré ne peut pas être maintenue dès lors que le juge pénal a relaxé le contribuable, poursuivi pour fraude fiscale à raison des mêmes chefs et impôts, au motif qu’il ignorait la qualification des sommes au moment de leurs écritures par son comptable et de son obligation déclarative. Ces constatations de fait, qui sont revêtues de l’autorité de la chose jugée, sont de nature à lier le juge de l’impôt (en ce sens : CE 23 juin 2022, arrêt n°446656). Le juge de l’impôt est donc lié dans ce cas au jugement pénal, et il doit ordonner l’annulation de toutes majorations fiscales appliquées par le Fisc (« manquements délibérés » ; « manœuvres frauduleuses » ) !
Par rapport à l’établissement de la « preuve » du caractère « délibéré » de l’infraction fiscale :
Le comportement d’un contribuable, au cours d’une vérification fiscale, ne suffit pas en lui-même à justifier l’application de la pénalité pour « manquement délibéré ».
Dans un arrêt n°432960 du 11 février 2021, le Conseil d’Etat rappelle qu’en cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable, la preuve du « manquement délibéré » incombe à l’administration (art. L 195 A du LPF), et que pour établir ce « manquement délibéré », celle-ci doit apporter la preuve, d’une part, de l’insuffisance, de l’inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d’autre part, de l’intention de l’intéressé d’éluder l’impôt.
Pour établir le « caractère intentionnel du manquement » du contribuable à son obligation déclarative, l’administration doit se placer « au moment de la déclaration » comportant l’indication des éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt, et elle ne peut en aucune manière se fonder exclusivement sur « l’attitude du contribuable pendant les opérations de contrôle » pour établir le « manquement délibéré », qu’il s’agisse de la part du contribuable soumis à vérification, d’une absence de collaboration au contrôle, ou qu’il se soit agi de réponses de sa part jugées insuffisamment probantes !
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