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Responsabilité pécuniaire de l’Etat pour faute des Services Fiscaux

Les agissements du Fisc peuvent-ils entraîner une condamnation pécuniaire d’un Etat fautif ? 

Les Services fiscaux n’ont pas toujours raison, dans leur quête du « redressement », et lorsqu’ils s’obstinent, alors que manifestement les contribuables sont pleinement dans leur droit et que c’est à-tort qu’il leur est infligé une rectification  de leur déclaration, il est habituel que leurs  victimes  s’acharnent elles aussi, et exploitent toute la hiérarchie des niveaux de recours, d’abord auprès du Directeur départemental de la DGFIP, puis des recours juridictionnels, également ceux auprès des Cours de justice européennes (CJCE ; CEDH), qui finissent par imputer la responsabilité de la faute à l’Etat. 

Si l’action de l’administration fiscale se traduit par un préjudice, par exemple financier, moral ou autre, d’autant plus si, par l’entêtement de ses services, l’Etat a contribué à augmenter le montant de ce préjudice, il peut en effet être condamné en réparation.

Il y a des précédents :

C’est avec la décision « Bourgeois » (CE Contentieux, 27 juillet 1990, n° 44676), qu’a démarré le mouvement jurisprudentiel ayant conduit à une disparition progressive de l’exigence d’une faute lourde.

Dans cette décision, le Conseil d’État a en effet substitué la faute simple à la faute lourde comme fondement de cette responsabilité, lorsque l’administration fiscale commet des erreurs dans des opérations d’établissement et de recouvrement de l’impôt qui ne comportent pas de difficultés particulières. Ce faisant, la Haute juridiction a fait montre de pragmatisme en adaptant le régime de la faute à la difficulté de l’opération au cas par cas, la faute lourde demeurant toutefois encore indispensable à cette époque, en cas de difficultés rencontrées par l’administration fiscale.

Mais les bastions qui subordonnaient encore la reconnaissance de la responsabilité de l’État à l’existence d’une faute lourde sont tombés les uns après les autres (services hospitaliers, police administrative, secours en mer, lutte contre l’incendie, internement d’office, services pénitentiaires…), même si en 2010, la faute lourde était encore requise dans l’exécution des actes de police, l’activité juridictionnelle de la justice administrative, les activités de tutelle et les opérations se rattachant aux procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt.

En 2011, le Conseil d’État a finalement jugé dans l’arrêt « Krupa » (CE Contentieux, 21 mars 2011, n° 306225),  que toute faute de l’administration fiscale en matière d’assiette comme de recouvrement est susceptible d’engager la responsabilité de cette dernière, quelles que soient les difficultés d’appréciation d’une situation fiscale, abandonnant ainsi définitivement, vingt ans après l’ « arrêt Bourgeois », le régime de la faute lourde en droit fiscal.

Aussi désormais une faute commise par l’administration lors de l’exécution d’opérations se rattachant aux procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt est de nature à engager la responsabilité de l’État à l’égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice […]; l”administration peut invoquer (pour se délier de sa responsabilité) le fait du contribuable ou, s’il n’est pas le contribuable, du demandeur d’indemnité comme cause d’atténuation ou d’exonération de sa responsabilité (Conseil d’État, arrêt du 21 mars 2011, n° 306225).

Pour qu’il y ait lieu à condamnation de l’Etat et à réparation de sa part, il faut que l’action administrative ait causé un préjudice réel, direct et certain, et un lien direct de causalité entre préjudice et faute doit exister : en ce sens : Conseil d’État, arrêt du 26 juin 1992, n° 75558 ; Conseil d’État, arrêt du 16 juin 1999, n° 177075 ; Conseil d’État, arrêt du 21 mars 2011, n° 306225).

Ainsi en a jugé le Conseil d’Etat qui a déjà condamné l’Etat à verser 110 000 euros d’indemnités, à des contribuables imposés à tort sur une plus-value immobilière, parce que la maison mise en vente était restée vacante vingt-sept mois, délai que le Fisc avait estimé beaucoup trop long, alors que les contribuables avaient apportés toutes les preuves démontrant qu’ils avaient accompli toutes les démarches nécessaires pour vendre plus tôt, mais que l’opération n’avait pu se faire qu’après un si long délai pour des raisons indépendantes de leur volonté. La procédure contentieuse en outre, avait duré dix ans, par l’obstination des services de l’Etat.

procès

Les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État :

il implique la réunion de trois éléments :

  • une faute de l’État ;
  • un préjudice pour le contribuable ou le tiers ;
  • un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Les caractéristiques d’une faute de l’État : 

elles peuvent se manifester dans le cadre de ses activités fiscales comme extra-fiscales.

Les opérations fiscales visées sont les suivantes :

  • les opérations d’assiette de l’impôt ;
  • les opérations de contrôles et les rappels qui peuvent en résulter ;
  • les opérations de recouvrement.

La faute de nature à engager la responsabilité de l’État peut résulter :

  • d’erreurs purement matérielles ;
  • d’erreurs dans l’application de la législation fiscale.

Les activités extra-fiscales sont notamment les suivantes :

  • la mission de renseignements ;
  • la fourniture de renseignements erronés.

L’existence d’un préjudice :

Le contribuable doit tout d’abord établir que son préjudice présente un caractère certain. Les préjudices futurs et éventuels, comme la perte de chance, ne sont pas indemnisables.

Le contribuable doit fournir les pièces justificatives établissant la réalité du préjudice qu’il estime avoir subi et en chiffrer le quantum de manière objective, étant précisé que ledit préjudice ne peut pas résulter du seul paiement de l’impôt ( CE Contentieux, 21 mars 2011, n° 306225) dès lors que le préjudice lié au paiement de l’impôt qui s’avère indu est réparé par les intérêts moratoires.

Les préjudices peuvent notamment être les suivants :

  • liquidation d’une entreprise ;
  • perte d’un fonds de commerce ;
  • perte de salaires et de droits à la retraite ;
  • atteinte à la réputation ou à l’honneur ;
  • santé dégradée ;
  • troubles dans les conditions d’existence ;
  • vente forcée d’un bien immobilier ;
  • frais liés à des mesures de recouvrement ;
  • baisse du chiffre d’affaires ;
  • dépréciation d’un bien ayant fait l’objet d’une mesure de saisie ;
  • intérêts d’emprunt ;
  • perte d’un client ou d’un fournisseur.

Les préjudices indemnisables ne peuvent pas être les suivants :

  • perte de trésorerie procédant de l’indisponibilité des sommes payées pour un impôt finalement dégrevé n’est pas davantage indemnisable dès lors qu’il ne constitue pas un préjudice distinct de celui qui est susceptible d’être réparé par les intérêts moratoires (art. 208 du Livre des Procédures fiscales ; LPF)  ;
  • frais de conseil engagés par les demandeurs pour obtenir le dégrèvement des impositions, intégralement réparés par la décision que le juge prend en application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ou de l’article 700 du Code de procédure civile.

L’existence d’un lien de causalité :

Le préjudice doit être directement imputable à l’administration fiscale (CE 8° et 9° ssr., 26 juin 1992, n° 75558). À été considéré comme tel :

  • le préjudice résultant de la perte des rémunérations qu’aurait continué à percevoir un dirigeant d’une société jusqu’à sa cession si les agissements de l’administration fiscale, ayant entraîné la liquidation judiciaire de la société, n’y avaient fait obstacle ;
  • le préjudice résultant des troubles graves de toute nature apportés par l’administration fiscale aux conditions d’existence d’un dirigeant de société, en particulier la dégradation de son état de santé (CE Contentieux, 16 juin 1999, n° 177075).

À l’inverse, n’a pas été considéré comme tel :

  • le préjudice résultant de la délivrance, par la conservation des hypothèques, d’un certificat inexact (CE 6° et 2° ssr., 23 février 1977, n° 03495) ;
  • le préjudice d’une société créancière d’une autre société fondée sur le comportement de l’administration fiscale à l’égard de cette dernière société (CE 8° et 7° ssr., 8 août 1990, n° 54500).
  • le préjudice résultant de l’interprétation illégale de textes par l’administration fiscale qui a dissuadé un contribuable de solliciter un agrément dès lors qu’il n’avait pas de chances sérieuses de l’obtenir  (CE 3° et 5° ssr., 20 février 1974, n° 84722 ) ;
  • le préjudice résultant d’irrégularité de procédure, d’erreur de base légale ou d’appréciation incomplète ou imparfaite des faits.

Par ailleurs, le préjudice ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l’administration fiscale lorsqu’elle établit qu’elle aurait pris la même décision d’imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu’elle avait omis de prendre en compte, ou encore qu’une autre base légale que celle initialement retenue justifie l’imposition.

Les causes d’exonération et de partage de responsabilité :

les juridictions peuvent admettre une atténuation de la responsabilité de l’administration fiscale avec un partage de responsabilité, voire une exonération lorsque celle-ci peut invoquer le « fait du contribuable » ou, s’il n’est pas le contribuable, du demandeur de l’indemnité comme cause d’atténuation ou d’exonération de sa responsabilité (CE Contentieux, 21 mars 2011, n° 30622).

Pour qu’un tel partage de responsabilité soit reconnu, l’administration fiscale doit démontrer que le demandeur de l’indemnité a :

  • fait preuve d’un comportement qui a pu gêner son action et, ainsi, contribuer à son erreur. Il en sera ainsi en cas de production tardive de justificatifs ou à la suite d’erreurs déclaratives du contribuable lui-même ;
  • eu un comportement répréhensible : participation à un schéma de fraude ou d’évasion fiscale, organisation d’insolvabilité ou de manœuvres faisant obstacle au recouvrement, opposition à contrôle fiscal, malice ou malveillance, manœuvres dolosives, attitude menaçante ou de nature à faire pression sur le vérificateur, comportement déloyal, absence ou manque de coopération ou de disponibilité, rétention de documents, explications confuses ou tardives, présentation imparfaite, etc.

Les procédures du recours en indemnité :

elles sont différentes selon que la demande est portée devant le juge administratif ou le juge judiciaire, et il en est de même des voies de recours.

Devant le juge administratif :

la procédure applicable est celle prévue par le code de justice administrative (CJA).

Le recours en indemnité devant le juge administratif doit être précédé d’une décision administrative dite « décision préalable », implicite ou explicite (CJA, art. R. 421-1). Le contribuable doit adresser au ministre chargé du budget une demande d’indemnité sur papier libre, dans laquelle il expose ses griefs, motive et chiffre ses prétentions.

La demande de dommages et intérêts résultant de la faute commise dans la détermination de l’assiette, le contrôle et le recouvrement de l’impôt ne peut porter que sur une période postérieure au 1er janvier de la deuxième année précédant celle au cours de laquelle l’existence de la créance a été révélée au demandeur.

À peine d’irrecevabilité, les requêtes et les mémoires indemnitaires adressées au tribunal administratif doivent être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation (CJA, art. R. 431-2).

Le délai d’introduction du recours en dommages et intérêts devant le tribunal administratif est de deux mois (délai franc) à partir de la notification de la décision expresse de rejet. La décision implicite de rejet fait également courir ce délai du recours contentieux, sous réserve que la demande indemnitaire ait fait l’objet d’un accusé de réception mentionnant les délais et voies de recours applicables. Les requêtes en dommages et intérêts doivent contenir l’exposé des faits et moyens et être accompagnées, selon les circonstances, de la réponse de rejet ou d’une pièce justifiant de la date du dépôt de la demande.

Les contribuables déboutés en première instance peuvent interjeter appel devant les Cours administratives d’appel (CAA) dans un délai de deux mois à compter de la notification jugement du Tribunal administratif (TA), sous réserve que l’indemnité demandée n’excède pas 10 000 euros.

Les jugements rendus en premier et dernier ressort et les arrêts des CAA peuvent faire l’objet d’un pourvoi devant le Conseil d’État dans les conditions prévues au code de justice administrative.

Devant le juge judiciaire :

c’est la procédure de droit commun, prévue au code de procédure civile et au code des procédures civiles d’exécution, qui s’applique. Il n’y a donc pas besoin de faire une réclamation préalable.

L’administration doit recourir au ministère d’avocat pour les actions de cette nature.

Les conclusions indemnitaires peuvent être jointes à une requête dont l’objet relève au principal du juge de l’impôt ou du juge de l’exécution.

Les décisions rendues en première instance sont, le cas échéant, susceptibles d’appel. Les décisions rendues en premier et dernier ressort et les arrêts des Cours d’appel (CA) peuvent faire l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation (CC).

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Didier Brochon Rédacteur Expert en Fiscalité

Didier Brochon Rédacteur Expert en Fiscalité

Dans la filière fiscale, je suis particulièrement compétent et formaté pour la fiscalité des entreprises et des particuliers, le contrôle fiscal et son assistance, les conseils aux entreprises et aux particuliers, le traitement des contentieux suite aux contrôles fiscaux, l'assistance aux vérifications de comptabilité informatisées (compétence informatique particulière dans le traitement des données), mais apte à défendre de la même manière un contrôle fiscal des particuliers (contrôle sur pièces, ou un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'ensemble; impositions directes locales: taxe d'habitation, taxes foncières), je suis également compétent dans une autre spécialité mal connue, y compris de beaucoup d'avocats, les évaluations domaniales de valeurs vénales et de valeurs locatives d'immeubles, évaluations des indemnisations en matière d'expropriations pour cause d'utilité publique, et leurs contentieux (au sein de l'Agence France Domaine en qualité de Chargé de mission, évaluateur et commissaire du gouvernement devant le Juge de l'expropriation et devant les SAFER).

Ma carrière administrative m'a valu d'exercer dans pratiquement tous les domaines du droit fiscal, y compris international, au sein de plusieurs Grandes Directions Nationales (ex-DSGI aujourd'hui DRESG ; DNVSF, en liaison avec Bercy, puis dans une Grande Direction Régionale de contrôles fiscaux, la DIRCOFI Centre-Val de Loire). 

Plus que mes compétences techniques très étendues, ma personnalité s'est toujours distinguée par une exigence de rigueur, mon adaptabilité, l'esprit d'analyse et de synthèse, le pragmatisme, la créativité, réactivité, curiosité, l'aisance relationnelle et en équipe, la vitesse de compréhension et d'exécution, le goût de l'initiative, des responsabilités et de la négociation. J'aurais pu par exemple intégrer un cabinet spécialisé, pour assurer la défense des intérêts des clients dans les domaines précités. J'aurais tout aussi bien pu travailler en "back office" en défense et recours des contribuables vérifiés, sur études des dossiers, ou les assister pendant les vérifications. Mes principaux hobbies sont : musique, art en général et littérature en particulier, étant auteur publié, et je suis également intéressé par l'activité de rédacteur.

Mes compétences fiscales et "para-fiscales" sont des plus étendues : juridiques (droit civil, fiscal et pénal découlant du fiscal, et droit de l'urbanisme + droit administratif, public et constitutionnel).

Aujourd'hui à la retraite, je reste actif en qualité d'auto-entrepreneur, en matière de conseils et défense en fiscalité des particuliers uniquement, et secondairement conseil dans les activités liées à l'écriture. Mon site web professionnel est https://www.cdjf-casav.com, où je réponds aux contribuables (ou écrivains) qui me sollicitent (mes tarifs et honoraires y sont clairement mentionnés).

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