Un arrêt de la Cour de Cassation en matière de contrôle Urssaf
Après un contrôle ayant donné lieu à une « lettre d’observations », l’Urssaf a notifié à une société, une « mise en demeure de payer » un certain montant de cotisations et de majorations de retard, puis lui a opposé une « contrainte » à laquelle la société a formé opposition devant une juridiction de sécurité sociale.
Le 27 septembre 2017, la cour d’appel de Montpellier a annulé la « contrainte », au motif que le débiteur s’est trouvé privé de l’exercice de ses droits et voies de recours avant l’ émission de celle-ci, car n’ayant pas pu avoir connaissance de la mise en demeure litigieuse et ainsi la contester, à cause de dysfonctionnements de La Poste.
Or le 24 janvier 2019, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu par les juges du fond, en se fondant sur les articles L. 244-2 et R. 244-1 du code de la sécurité sociale, estimant que le défaut de réception par son destinataire d’une « mise en demeure « adressée par lettre recommandée avec avis de réception n’avait affecté, ni la validité de celle-ci, ni la validité des « actes de poursuites » en ayant résulté.
Un « arrêt » plutôt contestable sur le plan de l’équité et des droits à la défense
D’aucuns pourront à juste titre s’offusquer de ce total manque de considération de l’administration, pour l’administré puis de la justice pour le justiciable, si désormais un service public comme l’Urssaf peut engager des mesures coercitives comme des « actes de poursuites » sans que les « cibles » de ses contrôles n’en aient été informées en temps voulu par pli postal recommandé !
Des juridictions différentes dont les décisions se rapprochent souvent, se croisent ou divergent
Si en matière de sécurité sociale, mais aussi de certains impôts, ce sont les tribunaux civils qui sont compétents (TI ; TGI ; Cours d’appel) et en dernier ressort, la Cour de Cassation, s’agissant en revanche d’impôts, et particulièrement d’impôt sur le revenu, ce sont les juridictions administratives qui le sont (tribunaux ; cours administratives d’appel ; Conseil d’Etat en dernier stade).
Pour autant, en matière d’impôts, on a souvent pu constater des « trajectoires parallèles » entre les positions arrêtées par la Cour de Cassation par exemple, et les décisions du Conseil d’Etat (pour exemple : en matière d’inobservation du « débat oral et contradictoire » dans une vérification de comptabilité : Cass. crim., 23 nov. 1992, n° 90-86.657, Sztergbaum : JurisData n° 1992- 003028 ;Dr. fisc. 1993, n° 20, comm. 1059, note G. Tixier et Th. Lamulle ; JCP G 1993, IV, 609 ; JCP E 1993, pan. n° 230 ; JCP E 1993, pan. n° 479 ; JCP E 1993, II, 491, note G. Tixier et Th. Lamulle ; D. 1993, inf. rap. p. 45 ; Gaz. Pal. 1993, 1, chron., p. 17 ; Gaz. Pal. 1993, 1, jurispr. p. 20 ; RJF 2/1993, n° 160 et n° 290, rapp. de Massiac).
Une telle position rejoint celle des juridictions administratives, qui déclarent « nulles » les procédures de vérifications (en matière d’impôts) qui ne respectent pas le « débat oral et contradictoire » (CE, plén., 27 juill. 1988, n° 43939, M. Macchetto : Dr. fisc. 1989, n° 16-17, comm. 835, concl. Ph.Martin ; RJF 10/1988, n° 1100).
Mais la Cour de Cassation va parfois « au-delà » des effets produits par la simple « irrégularité de procédure fiscale », pour en tirer une « irrégularité de procédure pénale », comme dans l’espèce : Cass. crim., 28 févr. 1994, n° 93-81.252, P-F, Renard : RJF 5/1994, n° 65.
Par ailleurs, il arrive aussi souvent que sur un même « point », la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat prennent des « voies » radicalement différentes. Il en est ainsi par exemple, en matière d’impôts, de « motivation et de « citation des textes fondant le redressement ».
Selon la Cour, l’absence de « citation des textes fondant le rehaussement » constitue un « vice substantiel » qui rend « nulle » la procédure (Cass. com,9 mars 1993, n° 436D,Corlay : RJF 5/1993, n° 753. – Cass. com., 13 déc. 1994, n° 93-12.797, Guillot : JurisData n° 1994-002876 ; Dr. fisc. 1995, n° 12, comm. 585 ; RJF 6/1995, n° 795).
Suivant la Haute Assemblée, au contraire, rien ne fait obligation à l’administration de citer les articles du code général des impôts concernés, dès lors que le texte de la « motivation » est suffisamment explicite (A. Lefeuvre, Motivation du redressement tendant à la réintégration de loyers excessifs, note sous CE, 8e et 3e ss-sect., 2 oct. 2006, n° 271057, Sté Geldoc Holding : JurisData n° 2006-081023 ; Dr. fisc. 2004, n° 29,comm. 637 ; CE,sect., 6 déc. 1995, n° 90914, Navon et n° 126826, SA Samep : JurisData n° 1995-600591 ; Dr. fisc. 1996, n° 7, comm. 203, concl. G. Bachelier ; RJF 1/1996, n° 61, chron. Goulard, p. 2).
Des procédures toujours très dépendantes du fonctionnement d’un service public, « La Poste »
Ainsi par exemple, et c’est un « classique » de la jurisprudence fiscale, les juridictions administratives ont toujours considéré jusqu’à présent que, à défaut de preuve que le « pli recommandé » (comportant la proposition de redressement) a bien été distribué au contribuable, l’imposition ainsi notifiée est « viciée ».
En cas de « redressements », c’est à l’administration fiscale que revient l’obligation de prouver qu’elle a bien adressé une « proposition de rectification » au contribuable par pli recommandé (En ce sens notamment : CAA de Bordeaux, 3e ch. du 13.4.99, recours n° 97-1191).
Les mêmes règles s’appliquent lorsque le pli recommandé non reçu contient les réactions du fisc aux observations formulées par un contribuable et lui notifie par une « réponse aux observations du contribuable », qu’il maintient son redressement (CAA de Bordeaux, 3e ch. du 13.4.99, recours n° 97-1191).
En revanche, lorsque la distribution du pli recommandé s’effectue « en l’absence de son destinataire », c’est à l’administration d’apporter la preuve que la distribution est régulière, par la preuve qu’un « avis de passage » a été déposé par le postier dans sa boîte aux lettres (et c’est au contribuable que revient la preuve du contraire, s’il affirme n’avoir jamais reçu d’avis de passage » l’invitant à aller retirer le pli à La Poste : en ce sens : CAA de Bordeaux, 3e ch., du 23.3.99, recours n° 97-2166 ; Conseil d’Etat, 10 octobre 2014, n° 356022).
La « distribution du courrier » : un traitement différent, suivant que l’affaire est jugée par la Cour de Cassation ou par le Conseil d’Etat
Comme décrit ci-avant, le Conseil d’Etat a toujours attaché jusqu’à présent une grande importance au fait qu’il puisse bien être établi que le « pli recommandé » accusateur, la « proposition de rectification », a été régulièrement « distribuée au contribuable », soit :
- parce qu’étant présent le jour de la distribution postale, il en a « accusé-réception » ;
- étant absent le jour de la distribution postale, le préposé lui a laissé un « avis de passage » dans sa boîte aux lettres (et que « mention claire et sans ambiguïté » en a été faite sur l’enveloppe d’envoi : « Absent avisé, non réclamé») ;
- en dépit de cet « avis de passage » l’invitant à retirer le « pli » au bureau de Poste dans le délai indiqué, le contribuable n’en a rien fait.
Or comme on le voit dans le récent arrêt de la Cour de cassation, certes s’agissant d’un domaine autre que l’impôt, mais affectant néanmoins un autre « service public », pour ses magistrats la « non-réception » de la « notification de contrainte » par pli recommandé par la société concernée, est sans aucune incidence sur la régularité de la procédure de l’Urssaf à son encontre !
S’ouvre ainsi une porte dangereuse au plan du respect des droits de la défense et du principe d’équité, par laquelle le juge administratif de l’impôt est susceptible, un jour, de s’engouffrer à son tour…
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